Chapitre 15. Un oiseau cloué au sol.

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La serre était une cage dorée splendide, il fallait l'avouer. Fenice n'avait pas toujours eu cette chance.

Les pieds dans un petit bassin artificiel, le benjamin de la famille royal de Blanchecombe admirait les paillettes de lumières qui dansaient sur les larges feuilles des palmiers. Il rectifia presque aussitôt en son for intérieur : il n'"admirait" plus depuis longtemps dans la mesure où il ne quittait presque jamais cet endroit. Il était parfaitement indifférent à la luxuriance des azalées en fleurs, au parfum enivrant des roses et aux piaillements des aras bleus perchés dans les orangers. Les dresseurs avaient coupé leurs rémiges pour qu'ils ne puissent pas s'enfuir.

Il avait beaucoup de compassion pour ces oiseaux.

Fenice ramassa ses souliers ainsi que ses bas qui l'attendaient sur le rebord et sortit du bassin. La soie de son pantalon collait à sa peau humide tandis qu'il se dirigeait vers le balcon, laissant dans son sillage des traces d'eau sur le dallage marmoréen. La serre dominait les jardins et la grande cour du château. De là, où il se trouvait il pouvait observer le remue-ménage constant des courtisans et plus particulièrement des grands du royaume. La reine Morgane était en ce moment même dans son bureau dont il voyait les larges fenêtres ouvertes pour laisser entrer l'air frais du soir. Il respectait la souveraine, elle lui rappelait sa mère, du moins du peu qu'il s'en souvenait. Elle aurait pu être reine elle aussi, à la place de ses frères.

Le jeune homme s'assit sur le petit banc et leva les yeux vers le ciel. Les tons violacés que prenaient les nuages à mesure que le soleil se couchait étaient agréables à voir. On dirait la couleur d'un hématome.

Il aimait moins en revanche son mari, Uther, qui semblait avoir remarqué son manège. Il devait être de plus en plus prudent à chaque fois qu'il sortait de la serre. Trapu et les sourcils perpétuellement froncé, il était semblable à un buffle qui traversait les couloirs. Voilà bien un homme qui n'avait rien à faire des convenances et des belles manières, un homme qui ne se laissait pas attendrir, un homme à éviter.

Fenice tendit l'oreille : dans le lointain, le clocher de l'Hôtel de ville sonnait huit coups. Il avait du mal à entendre distinctement à cause du boucan que faisait le fils Flamdragon. Il se leva du banc pour aller se pencher au balcon. Deux combattants au cœur du parc échangeaient de violents coups et estocades. Même à cette distance, le jeune homme était en mesure de reconnaître la silhouette très caractéristique du général aux mains de métal et que dire de la femme qui l'accompagnait ! Une géante pareille se repérait comme du sang sur la neige.

Fantastique, le butor s'était trouvé une amie encore plus bourrin que lui.

Le jeune homme retourna à l'intérieur de la serre. Maxime n'avait pas cessé de lui parler de la fameuse Nuray, lieutenante à la frontière, capable de lancer un tronc à quatre mètres et au langage fleuri des casernes. Sans aucun doute, il allait passer la soirée avec elle à échanger leurs histoires de soldats en buvant des coups et autres joyeusetés. Cela signifiait qu'il n'aurait pas à partager son lit avec lui cette nuit, Atalante soit bénie.

Il enfila son grand manteau de feutre bleu marine, le seul vêtement discret de sa garde-robe, offert par le fils Flamdragon, à sa demande justement. L'imbécile n'avait même pas demandé pourquoi. Fenice n'avait presque que du blanc, couleur bien plus repérable évidemment. Personne ne peut s'enfuir en blanc.

Les premiers temps, les alentours de la serre étaient perpétuellement surveillés. Le couple royal avait tant craint qu'il ne soit un espion qu'ils avaient mis en place une surveillance à laquelle il était impossible d'échapper. Mais au fil du temps, comme il paraissait toujours inoffensif et lent d'esprit, tout juste bon à réchauffer le lit du fils Flamdragon, la garde s'était restreinte jusqu'à devenir une simple ronde toutes les heures. Ils se contentaient juste de passer devant la porte de la serre, ce qui laissait un temps confortable à Fenice lors de ses escapades à travers le palais. De toute façon, pour ce soir, le jeune homme ne comptait pas aller bien loin.

En un tour de cadranOù les histoires vivent. Découvrez maintenant