Toute la semaine était passée, et Stéphane n'avait plus adressé la parole à Joeffrey après leur seconde dispute du lundi. Ce qui, pour le cuivré, signifiait aussi qu'il n'avait tenu aucun garçon dans ses bras depuis deux semaines. De toute façon, aucun autre que le noiraud ne l'intéressait. Mais c'était le weekend, et il allait bientôt devoir retourner dans son studio, loin de lui, et la perspective de passer une troisième semaine sans l'avoir dans son lit ne le réjouissait guère.
Alors, choisissant ses mots avec soin, pour un écrit plus proche du De profundis d'Oscar Wilde que de La Correspondance Georges Sand, il lui envoya un mail.
De Stéphane :
Salut Joe.
Je m'excuse pour la façon dont je t'ai parlé début de semaine. J'ai très mal pris que tu me repousses, trop habitué que je suis à être ton favori. Tu as raison, je n'ai aucun droit sur toi et je n'ai pas non plus celui de te faire de crise de jalousie. J'aimerai cependant que tu te rendes compte de ce que tu fais et de ce que tu me fais.
Ce mec, ce Grégory auquel je t'ai vu t'accrocher toute la semaine, n'est pas fait pour toi. Que connaît-il de toi ? De tes besoins réels de tendresse ? De ton exigence légitime d'être respecté ?
Je te connais, je sais que ces points sont primordiaux et même inéluctables pour toi. Alors comment peux-tu laisser ce mec te toucher ? Tu ne me feras pas croire qu'il satisfait à tes exigences. Pas avec la façon dont il t'a parlé la première fois. Je sais que, pour toi, ce genre de digression est incompatible avec le fait de nouer une relation, quelle qu'elle soit. Je ne sais pas ce qui t'es arrivé en mon absence pour que tu agisses ainsi, au mépris même des règles que tu as toi-même fixées, et auxquelles moi, comme les autres, je me suis plié, sans jamais rien demander.
Pour ma part, tu le sais, je n'attends qu'un mot de toi pour ne me consacrer qu'à toi, ce qui, en réalité, est même déjà le cas. Tu es le seul avec qui je passe du temps, le seul avec qui je couche. J'accepte de te partager parce que je sais que je ne peux pas répondre à tes besoins à moi seul. Pourtant, je serai heureux d'être le seul autorisé à te toucher, le seul à te prendre dans mes bras, à te faire gémir. C'est une autorisation que j'attends depuis longtemps, et j'ai du mal à encaisser que tu laisses un mec que tu viens juste de rencontrer, un mec vulgaire et qui t'es désagréable, avoir cette priorité sur moi.
Mais peut-être ne suis-je qu'un idiot à espérer qu'un jour je compte pour toi plus qu'un autre. Et si ce n'est pas le cas, alors dis-moi combien de temps encore je vais devoir attendre. Car je t'attendrai, peu importe le temps qu'il faudra.
J'aimerai que nous puissions en parler en face à face. Que dirais-tu de se retrouver ce soir ? Nous pourrions sortir, discuter, et je te prendrais contre moi, je te ferais l'amour. Tu me manques, Joe.
Bien à toi,
Stéphane
Le portable de Joeffrey sonna. Il lut le mail de son amant, mais seul un sourire amer se forma sur ses lèvres. Aux mots du cuivré, il était clair pour le noiraud que celui-ci s'estimait une forme de droit de veto sur les personnes qu'il pouvait fréquenter. Sans compter qu'il sentait la tentative de culpabilisation. Si, jusqu'à présent, le comportement possessif de Stéphane à son égard ne l'avait pas dérangé, puisqu'il restait dans les limites qu'il tolérait, ce mail les dépassait. Pire encore à ses yeux, il laissait transparaître une chose qui le blessa profondément : ce qui manquait à son amant, c'était son corps, et, quoi qu'il en dise, il ne savait rien de lui, de ses ''besoins réels'', de ses blessures...
Il prit cependant la peine de répondre, mesurant chacun de ses mots.
De Joeffrey :
Salut Stéphane,
Moi, ce qui me manque, c'est le respect que tu avais pour moi. En as-tu jamais eu ? Qui es-tu pour me dire qui je peux laisser entrer dans ma vie ou non ? Qui es-tu pour juger les autres ? Grégory est loin d'être celui que tu penses. Et, pour ton information, il se comporte avec moi mieux que beaucoup d'autres, même si ça avait mal commencé. Plutôt que de le dénigrer, tu devrais être content pour moi que j'aie pu trouver quelqu'un sur qui m'appuyer.
Tu parles de me partager, mais pour me partager, il faudrait que tu me possèdes, ce qui n'est pas le cas. Je te l'ai déjà dit : je n'appartiens qu'à moi ! Certes, tu es celui dont je me sentais le plus proche, celui dans les bras de qui je me sentais bien et respecté... Jusqu'à lundi, tes deux crises, et ce mail.
L'espoir que nous deux, ça puisse aller plus loin, je l'ai aussi caressé pendant longtemps. Mais j'aurai eu besoin d'être une priorité dans ta vie, ce que tu n'es pas prêt à m'accorder. Un jour, peut-être, le seras-tu. Mais je ne peux pas te promettre que moi, j'attendrais jusque là.
Mais ce n'est pas la question. J'aimerai que tu te rendes compte d'une chose : tu ne me fais pas l'amour. Pour cela, il faudrait que tu me connaisses, que tu saches qui je suis, pourquoi j'ai établi des règles, pourquoi je ne me livre pas et pourquoi j'ai besoin de quelqu'un à mes cotés... Et que ce soit à toutes ces parties de moi que tu fasses l'amour. Mais tout cela, tu ne le sais pas. Ce que tu connais de moi se limite à mon corps.
Alors je ne te dirais pas que tu me manques, car je ne te reconnais plus assez pour ça. Mais des choses de toi me manquent, comme tes sourires et ta conversation. Tes caresses me manquent. Tes baisers également. Mais, en ce moment, ce n'est pas de ça dont j'ai besoin. Et il se trouve que Grégory est le seul à le comprendre, et donc le seul à m'offrir ce dont j'ai besoin.
Nous pouvons nous voir, discuter. Mais je ne coucherai pas avec toi. Je n'en suis actuellement pas capable.
Si ça peut panser la blessure de ton ego, dis-toi qu'aucun des autres ne me touche non plus, pas même Grégory, auprès duquel je ne fais que dormir, et que mon comportement n'est en rien dirigé contre toi, ni contre aucun d'entre vous. J'ai besoin d'une pause, voilà tout.
J'espère que tu comprendras, et que, quand j'irai mieux, toi et moi serons réconciliés. Car, je l'admets, de tous, tu es mon amant favori.
Je t'embrasse,
Amicalement,
Joeffrey
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L'amant des autres [Terminée]
RomansaA l'université, Joeffrey, un jeune homme gay, couche avec différents partenaires, sans attaches. La seule chose qu'il demande, c'est d'être respecté par chacun et que son partenaire de la soirée passe le reste de la nuit à ses côtés. Et si c'est le...