De l'autre côté du pont

𝕋𝕎𝔼ℕ𝕋𝕐-𝕋ℍℝ𝔼𝔼

RAIN

Chapitre vingt-trois

- Un autre, s'il vous plaît.

Je n'ai jamais vu une seule et même personne se diviser en autant de clones très flous. Je ne sais pas si ce serveur est poursuivi par trois personnes lui ressemblant fortement ou si j'ai trop bu. Je pense que je vais opter pour la deuxième option. C'est sûrement le verre de trop.

- Je suis désolé, je ne peux plus vous servir. Vous devriez vous en aller.

Il est bien gentil, tiens. Mais c'est le troisième bar qui me mets dehors. J'en ai marre, marre, marre.

- Juste un verre de plus.. juste un riquiqui.

Même mes yeux de biche ne semblent pas l'amadouer. Il ne craquera pas.

- Vous faites chier.

J'enfile ma veste maladroitement et après avoir trébuché plus d'une fois, je rejoins l'air frais. Très frais. Trop frais ?

J'ai l'impression que je vais devenir un glaçon. Mes dents claquent, mes lèvres doivent être bleues. Je vois trouble, mes cheveux collent.

Mais le pire reste mon cœur qui bat à mille à l'heure, et s'accélérant encore plus lorsque j'allume une cigarette. D'ailleurs, je la trouve dégueulasse. Je l'écrase sous ma bottine et continue mon chemin. Je ne sais pas où j'y vais, mais j'y vais.

Même avec l'alcool qui coule dans mes veines et qui occupe certainement plus de place que mon sang à l'heure ci dans mon corps, je n'arrive toujours pas à me sortir Eli de la tête. C'est insupportable.

Je ne sais plus si ce que j'ai dit était bien ou complètement ridicule. En fait c'est ça : JE suis ridicule. J'ai bien fait de le chasser de ma vie.

Je l'appelle pour la sixième fois au moins de la soirée, et dès qu'il répond comme il l'a fait pour tous les autres, je raccroche. Rien qu'entendre sa voix une petite seconde me fait du bien. Égoïstement, je me dis qu'il pense à moi. Il ne m'a pas écrit, pas appelé, n'est pas passé chez moi une seule fois depuis trois jours... si je compte bien. Mais lorsque je l'appelle, il répond immédiatement.

C'est un ange.
Je suis un démon.

Je rigole toute seule, les larmes aux yeux en me disant que notre relation n'avait pas de sens. Vraiment aucun ! Ah... ce bordel dans lequel je me suis mise avec lui. J'aurais mieux fait de m'abstenir.

Mais en même temps, j'avais l'impression d'aller mieux avec lui. C'est étrange.

Tiens, il me rappelle. Je réponds... je ne réponds pas ?
Téléphone rouge. Je suis trop éméchée pour répondre, il me tuerait. Ou alors il s'en foutrait.

Tiens... je reconnais cet endroit. Tout a commencé ici. Enfin, pour moi. Parce que pour lui, tout est parti de notre rencontre dans l'ascenseur, alors que je l'ai insulté sans même savoir que c'était lui. Sans jamais prendre conscience que je l'avais déjà rencontré avant de me retrouver en face de lui sur ce pont. Il m'a fallu un indice supplémentaire la dernière fois pour le rejoindre au bon endroit.

Lorsque j'ai rencontré son regard ce vingt-quatre décembre, j'ai eu l'impression de déjà le connaître. C'est étrange... j'ai peur de passer pour une folle, d'ailleurs je suis sûrement trop bourrée pour avoir ce genre de réflexion... mais j'ai l'impression qu'il y a un truc entre nous du genre indéfinissable. Comme si... une force nous poussait à sans cesse nous retrouver. Comme si notre rencontre était inévitable. Ça ne m'étais jamais arrivé, et j'ai peur. Putain j'ai super peur.