ELI
Chapitre trente-cinq
Cette soirée était l'une des plus belles que j'ai passé. Rain s'est enfin ouverte, elle s'est confiée et a pu réaliser quel était le problème.
La regarder dormir, juste à côté de moi me rassure. Après notre virée sur le lac, Rain s'est endormie directement de retour dans la voiture. Je la sens plus apaisée, moins envahie par ses pensées. Je passe une bonne partie de la nuit à la regarder, à me lever pour me vider la tête, à écrire.
À six heures, je vais promener Cata. Je ne l'avouerai jamais, mais malgré le fait que cette bestiole empeste régulièrement, qu'elle bave et laisse des poils partout où elle passe, réclame sans arrêt à manger, envahit mon espace de vie... je l'apprécie. Je me mets même à lui parler parfois. Bref.
Je remonte après avoir appeler mon frère, Léo puis Marion et me recouche aux côtés de Rain.
- Tu étais où ?
- J'ai été promener ton chien.
- Merci... je sais que tu l'aimes, au fond.
Elle referme ses yeux, un sourire scotché aux lèvres. J'essaie d'en faire autant, mais le sommeil ne vient pas. À la place, je prépare la chambre d'amis, et déplie le clic-clac dans la salle où je joue aux jeux vidéos. J'ai envie que tout le monde soit bien chez moi.
- Tu fais quoi ?
Une bonne heure plus tard, je sursaute à l'entente de la voix de Rain, qui me rejoins au milieu de la future chambre provisoire de Léo et Marion.
- Je... je range.
- J'ai plutôt l'impression que tu prépares la chambre.
Je lâche mon balai et me tourne vers elle.
- Oui, tu as raison. C'est de ça dont je voulais te parler...
Je la tire en dehors de la pièce et nous nous asseyons à la cuisine. Elle semble toujours aussi fatiguée, des cernes immenses sous ses yeux, mais elle essaie de garder la face.
- Mon frère sort aujourd'hui. Je l'ai invité à venir chez moi pour le week-end, après il ira en centre de rééducation.
- Mais pourquoi tu ne me l'as pas dit avant ? C'est génial !
- Parce que... on a pas vraiment eu l'occasion d'en reparler avant.
Je sais qu'elle comprend à quoi je fais allusion. Quand j'ai eu cette conversation avec mon frère, c'est le jour où le moral de Rain a dégringolé.
- Du coup... Léo et Marion viennent aussi. Et...
- Et quoi ? Tu m'invites à venir chez toi, pour au final inviter tout le monde aussi ? Je n'ai pas envie de les voir, je n'ai pas envie qu'ils me voient. Je ne veux pas qu'ils aient cette image là de moi en tête. Je veux... je veux juste être tranquille.
Elle s'affole et les larmes aux yeux, elle appuie sur sa poitrine. Je sais qu'elle souffre, mais j'ai envie qu'elle voit du monde. Elle a besoin de ça pour se reconstruire. La solitude n'est bonne pour personne.
- Ils ne sont pas là pour te juger et tu le sais. Léo est inquiet pour toi, il s'en veut énormément et... et vous avez besoin d'avoir une conversation.
Sans un mot, elle hoche simplement la tête avant de disparaître dans la chambre. J'aimerais qu'elle essaie de faire un effort, qu'elle montre qu'elle a envie d'aller mieux. Mais j'ai l'impression que le chemin va être long.
Sans insister plus longtemps, je décide d'aller chercher Mat. J'en informe Rain sans attendre de réponse et me rends à l'hôpital.
Je trouve mon frère en pleine préparation de sa valise, tout en répondant aux questions d'un présumé médecin qui lui demande la date du jour, le prénom de ses parents, et d'autres infos pour voir si sa mémoire s'améliore.
Dès que Mat m'aperçoit, il coupe la parole au médecin et me rejoint.
- T'es enfin là ! J'ai eu le temps de me promener à tous les étages. J'en ai marre d'être ici.
- Vous n'avez qu'à signer ce formulaire, et tout sera en ordre. Profitez de ce premier week-end de liberté, Matthias. Et nous nous reverrons lundi.
Les deux hommes se serrent la main et après avoir réglé les derniers détails, Mat est enfin prêt à quitter cet hôpital.
- Alors, tu as réussi à organiser un truc ?
- Oui, je gère ne t'en fais pas.
Nous discutons de choses futiles tout le long du trajet et dès que nous arrivons, je commence à stresser. J'ai laissé Rain seule, sans m'inquiéter de si ça allait aller durant mon absence. J'espère qu'elle ne m'en veut pas réellement pour mes invités surprise, j'aimerais qu'elle soit heureuse à nouveau.
- Comment va Rain ?
- Tu verras par toi même.
Mat hausse les épaules et passe devant. À chaque détail jusqu'à entrer dans ma cuisine, il fait des pauses en fermant les yeux, se remémorant des souvenirs.
- Salut.
Un haut lui tombant jusqu'aux genoux, les cheveux en bataille, et les yeux encore plus cernés que tout à l'heure... Rain arrive et se plante devant mon frère en osant un tout petit sourire.
- Salut toi !
Mat la prend dans ses bras et Rain se laisse faire sans réagir.
- Comment tu vas ? Heureux de pouvoir enfin sortir ?
- Carrément, tu n'imagines même pas.
- Je pense bien. Je vais m'habiller, je reviens.
En un regard insistant, Rain me demande silencieusement de la suivre. Une fois seuls dans notre chambre, je m'assieds au pied du lit et attend de savoir ce qu'elle veut me dire.
- Je suis désolée de réagir comme ça. Je me déteste juste un peu plus en ce moment, et je n'ai pas envie d'être entourée de ceux qui ne voient en moi que la Rain heureuse et emmerdeuse en tout temps. Être moi, sans filtres, est plus difficile que je ne me l'étais imaginé. J'ai besoin de temps. Mais je vais faire un effort.
Je sèche ses larmes et la serre fort en l'embrassant sur le front.
- Tu vas y arriver, je te le jure. Je serais là pour toi, et si ça ne va pas, rien ne t'empêche de t'isoler.
- Oui, tu as raison.
Je la laisse s'habiller et rejoins Mat, en train de câliner Cata.
- Elle est adorable !
- Elle est chiante, elle pue, elle aboie. Cata est tout sauf adorable, crois-moi.
- Je suis sûr que tu l'aimes un peu, au fond. Parce que sinon, elle ne vivrait pas chez toi.
- Hum. Non, je ne pense pas.
Mon frère rigole et se lève en entendant quelqu'un frapper. Je le devance.
- Je vais ouvrir, t'inquiètes.
Derrière la porte, sans jamais l'avoir vue, je sais qui est cette femme. Je l'attendais tellement, ayant miser tout mes espoirs en elle. J'espère tellement qu'elle va pouvoir l'aider, l'accompagner... la comprendre. Rain a besoin de réaliser qu'elle n'apporte pas le malheur, qu'elle est géniale, et qu'elle peut être fière d'elle. Je serais là pour l'aider, mais quelqu'un le peut mieux que moi. J'en suis certain. Je fixe ses yeux d'un gris percutant, et son sourire éclatant. Ma première invitée est la plus importante de la soirée.
- Eli ?
- C'est moi. Entre, je t'en prie.
- Merci.
- Merci à toi d'être là, Eva.
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De l'autre côté du pont
Novela JuvenilCe qui aurait dû les tuer ce soir-là a fini par les sauver. En ce vingt-quatre décembre, l'un comme l'autre avait décidé d'en finir avec la vie. D'un côté, il y a Rain. Une jeune femme vivant au jour le jour comme elle le peut, jonglant entre plusi...