Sans-Esprit : 1. La Pierre Bleue

34. Arénès

Resté seul avec sa protégée, Arénès la fixait toujours avec insistance.

« Pourquoi as-tu refusé l'offre de Delhuart, Nora ? »

Derrière le ton doux qu'il avait adopté, une certaine impatience mêlée de colère couvait. C'était une perte de temps! La jeune femme avait reçu un enseignement solide et il en était certain ! Peut-être même avait-elle déjà maîtrisé les bases que le maître mage lui avait inculquée ces dernières semaines !

Rien que son aisance à assimiler les premiers rudiments du langage draconique l'en avait convaincu.

Peut-être Florian avait-il voulu la pousser à affronter sa mémoire défaillante en lui imposant cet ultimatum. L'archimage ne semblait pas homme à imposer un tel stress à un apprenti inutilement...

« Je le lui fais pas confiance, Maître. »

Le titre venait à présent naturellement dans la bouche de son élève. Si Arénès avait toujours été très à cheval sur les convenances, qu'elle se plie à celle-ci le décevait quelque peu.

Le magicien s'était beaucoup attaché à son apprentie. Le mot « Maïtre » imposait une distance entre eux qu'il ne souhaitait pas voir s'établir.

Mais cela lui donnait également un certain ascendant sur elle. Elle si indépendante, farouchement entêtée à se débrouiller seule. Qu'était-ce ? De la soumission ? Non, cela ne lui ressemblait pas!

« Mais souhaites-tu te rappeler ?

- Bien sûr que oui ! »

La réponse avait été spontanée et gorgée d'émotion. Il pouvait le comprendre: depuis combien d'années vivait-elle sans avoir la plus menue idée de son identité ? L'esprit empli de connaissances dont elle ne comprenait pas l'origine ?

« Me laisserais-tu faire Nora ? Je ne suis pas aussi versé que Delhuart dans cet art, mais je le maîtrise suffisamment. »

Il cru, l'espace de quelques secondes – le temps de battement laissé par la jeune femme pour lui répondre – qu'elle allait tourner les talons et disparaître. Mais elle le regarda droit dans les yeux, sans ciller.

Le magicien attendit patiemment la réponse. Une chose devait être accordée à cette situation pour le moins tendue : Arénès commençait à apprendre la patience.

Dans un recoin de son esprit, le rire d'un elfe résonna alors qu'il se faisait cette réflexion. Erion aurait adoré cela !

« Je vous fais confiance. »

Touché par la déclaration, Arénès posa une main sur l'épaule de la jeune femme. Elle était tendue. Le magicien l'invita d'un geste à le suivre dans son bureau et elle lui emboîta le pas,sans un mot de plus.

Arénès s'assit, soulagé de n'avoir pas, cette fois à dégager un fauteuil pour permettre à son invitée de prendre place. Nora observait le bureau d'un oeil curieux, l'air un peu absente, ou pensive. Le magicien attira son attention d 'un léger raclement de gorge.

« Explorer un esprit est toujours une démarche délicate. Un esprit endommagé » plus encore. »

Les yeux soudainement plissés de son élève le surprirent.

« Qu'entendez-vous par « endommagé ? »

Le ton était sec, sceptique.

Irrité?

Ce n'est pas le moment de la vexer, cela ruinerait les chances de réussite du sort!

« Je ne parlais que du verrouillage de tes souvenirs, Nora. » dit-il d'une voix qu'il espérait douce, rassurante. « Cela ne sous entend en rien que tes capacités mentales sont défaillantes. »