18. Le Soldat.

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Il était rare qu'une patrouille s'aventure dans le quartier portuaire, à cette heure avancée de la nuit. Il était encore plus rare qu'une patrouille s'aventure, quelle que soit l'heure, hors des grands axes. Aussi les 6 hommes portaient-ils cuir et maille sous leur tabar bleu nuit à l'épée de glace. Main sur la garde de leur arme, bouclier au bras, la troupe suivait avec une discipline martiale le pas du destrier de leur officier. Le bruit des sabots et des bottes sur la terre battue attira plus d'un regard aux fenêtres de leurs résonnement sourd.

Aktar Derlön avait ordonné que l'on avance en ordre. Le jeune lieutenant de la garde n'en était plus à sa première sortie... Tout aussi sur ses gardes que ses hommes, il redoutait que ceux des Masques interceptent sa patrouille et fasse, une fois de plus, la preuve qu'ils étaient les véritables maîtres du port - ce qui n'était pas du tout au goût du jeune homme !

Le soldat se méfiait du calme apparent de ces ruelles aux maisons délabrées. Chaque fenêtre lui semblait dissimuler un regard assassin, chaque croisement une embuscade... et chaque passant prêt à poignarder l'un de ses hommes dans le dos. Ce n'était la que l'expression de sa crainte, le jeune homme en était parfaitement conscient! En vérité, il éprouvait de la compassion pour les habitants de ces lieux abandonnés. Il offrait tout le soutient possible aux dispensaires, aux rares marchands... et aux - plus rares encore ! - recrues de la garde issues du quartier. Aussi connaissait-il parfaitement l'adresse qui lui avait été donnée.

Pourvu que la vieille dame n'ait pas eu d'ennuis.

Quelques mois auparavant, Aktar avait rencontré Esmë Panelier. Il avait alors reçu pour consigne d'arrêter quelques malandrins, connus pour avoir plusieurs fois reçu les soins de la guérisseuse. Celle-ci l'avait rabroué comme le jouvenceau qu'il était encore, sans lui donner ni information ni motif pour l'arrêter, elle. Ensuite, elle lui avait offert du thé.

Jamais le lieutenant Derlön ne devait oublier la discussion qui avait suivi. Esmë lui avait parlé de ces enfants, ceux sur qui il devait mettre la main. Des garnements faméliques sans autre ressources que leurs mains prestes et leurs jambes pour s'enfuir. Aussi avait-il décidé de ne plus renvoyer d'affaires aussi mineures devant le tribunal et de confier les enfants aux différents dispensaires du quartier. Ceux-ci avaient l'habitude ! Ils plaçaient les enfants, donnant à ceux qui ne s'enfuiraient pas la chance d'avoir un avenir.

Ce soir, il espérait que la guérisseuse n'avait rien.Qu'elle ne courrait pas le danger décrit par le serviteur du magicien.

En s'arrêtant devant la porte, il mit rapidement pied à terre et frappa à la porte.

Aux mots « Au nom du Comte, ouvrez ! » plusieurs rideaux aux alentours se fermèrent précipitamment. Aktar attendit poliment. D'autres que lui auraient défoncé la porte, au mépris de l'âge de la maîtresse de maison et du dénuement dans lequel elle vivait. La vieille dame aurait pu remplacer la porte, certainement... mais le soldat savait que ce serait au détriment des habitants du quartiers les plus vulnérables.

La vieille Esmë n'était pas une criminelle... et il n'était pas envoyé pour l'arrêter.

Une bougie à la main, la guérisseuse apparut à la porte, enveloppée dans un châle et les yeux ensommeillés. Ceux-ci se posèrent sur le jeune officier avec quelque appréhension.

« Encore toi ! » s'exclama-t-elle. « Et à cette heure ? Que veux donc la garde à une vieille dame ?

- Madame » répondit le lieutenant Derlön en croisant ses mains dans son dos « Je dois m'entretenir avec vous immédiatement.

Sans-Esprit : 1. La Pierre BleueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant