Sans-Esprit : 1. La Pierre Bleue

5. Arénès

Le magicien avait rangé son bureau et toute trace des semaines, ou plutôt des mois, passés à élaborer l'ouvrage qui lui avait valu le titre de maître mage, avait disparu. Il l'avait aéré et rendu plus ou moins accueillant. Ou, du moins, moins confiné, si on parvenait à ignorer les nombreux livres qui débordaient des étagères recouvrant les murs, ainsi que l'établi où il semblait qu'une expérience était constamment en cours.

Cela lui avait pris l'après midi ainsi qu'une bonne partie de la soirée. Mais le maître mage voulait pouvoir prendre en charge son premier élève dans des conditions acceptables. De par son rang, la tour lui allouerait une étude plus conséquente. Il avait d'ailleurs détaillé ses exigences à l'intendance avant de rentrer chez lui. Arénès arriva donc à la tour de bon matin et d'excellente humeur. Le jeune magicien voulait vérifier les aménagements de son étude avant de se présenter à son premier apprenti.

Quand il avait accepté d'examiner des candidatures, Arénès n'était guère enthousiaste, mais avoir découvert un apprenti Sans-Esprit était une aubaine ! Le magicien se rendit à son étude le cœur léger. Il avait hâte d'examiner ce que lui avait concocté l'intendance. Mais, alors qu'il ouvrait la porte, deux surprise de taille l'attendaient à l'intérieur.

La première lui coupa le souffle.

La seconde provoqua une colère sans précédant.

Tout d'abord, Arénès découvrit que son bureau exigu était devenu un espace assez vaste pour accueillir une demi douzaine de pupitres. Ceux-ci, comme l'avait précisé le maître mage, formaient un demi cercle devant une longue table encombrée de caisses remplies de matériel de laboratoire. Sur le mur d'en face, il disposait à présent d'un grand tableau noir.

La pièce avait été bâtie dans le pur style Zeinhaldien : Sol de marbre noir, murs de pierre sombre et lisse, tendus de tentures de velours pourpre. De grandes fenêtres et des candélabres d'argent éclairaient la pièce naturellement sombre. Par une porte entrouverte sur le côté, il aperçu ce qui semblait être son bureau, dans l'état exact où il l'avait laissé la veille.

Sans l'apparition grisâtre et fantomatique qui lui tournait le dos, Arénès aurait pu sourire et parcourir les lieux, effectuer les dernières retouches et installer le matériel contenu dans les caisses. La silhouette se retourna et le maître mage reconnut les traits familiers de Daran de Ker.

« Mon ami ! Vous êtes la ! »

Le jeune magicien haussa les sourcils et s'avança.

« Archimage ? » commença-t-il. « Que...

- Pas le temps ! Je vous parle depuis le sous sol. L'archimage Lelys a fait emmener Morgan pour le neutraliser. J'ai besoin de vous pour arrêter cela! Prouver qu'il n'appartient pas à Ignis pourrait apaiser mon confrère ! »

Arénès n'eut pas besoin de se le faire dire deux fois ! Il se précipita dans son bureau et s'empara d'une coupe en fonte sur une étagère avant de se ruer dans le couloir! La projection grise de Daran courut à ses côtés, suivant sans difficulté les foulées rageuses du magicien Zeinhaldien.

Coinçant la coupe sous son bras, le magicien traça des runes devant lui, de gestes aussi précis que rapides, tout en prononçant quelques mots de pouvoir.

"Ran sé guéran, ran sé mihr!"

Aussitôt, la course d'Arénès s'accéléra de manière surnaturelle. Évitant ses collègues qui se retournaient sur son passage, il traversa en trombe les couloirs le séparant de la cage d'escaliers, tel un furieux éclair blanc!