Sans-Esprit : 1. La Pierre Bleue

10. L'apprenti

La vie de Morgan avait basculé de manière spectaculaire par deux fois. L'adolescent se souvenait souvent, avec nostalgie, de sa vie au village de Darrön. Paisible, il était principalement peuplé de paysans, bien que certains jeunes Darroniens s'engagent à Fort Lumière et continuent de visiter les leurs à chaque permission. Les soldats lorgnaient les filles et les filles lorgnaient les soldats. Mais elles observaient aussi les apprentis du prêtre, les fils du forgeron où du meunier et préféraient, pour la plupart, un époux qui aurait moins de chance de mourir au combat que les gardiens de Fort Lumière. Enfin, lorsque ce n'était pas elles-mêmes qui s'engageaient à fort lumière. Pour certaines, c'était la promesse d'une vie plus palpitante que celle d'une paysanne!

Morgan était le cadet de sa fratrie. Aussi n'était-il pas destiné à hériter de la ferme de ses parents. Sa mère l'avait placé en apprentissage pour assurer son avenir et, dès l'enfance, Morgan avait cumulé ses corvées à la ferme et les heures de travail à l'archerie du village. Ces temps avaient été, pour le jeune garçon,plus simples, plus heureux. Il se voyait alors prendre la suite des affaires de son mentor, épouser une fille du village et vivre à Darrön jusqu'à la fin de ses jours, heureux et entouré d'enfants et d'amis. Ce rêve avait duré jusqu'au jour où il avait mis le feu à la réserve de bois de son maître. C'était un acte accidentel, non contrôlé, commit dans une situation d'urgence.

L'hiver avait été rude et le gibier manquait. Le village ne risquait pas la famine car il disposait de bonnes réserves et Fort Lumière apportait son aide aux familles les plus démunies. Les hommes du village n'entraient plus dans les bois en de telles circonstances car, si le gibier manquait, les loups seraient plus enclins à les attaquer. Ces bêtes n'approchaient cependant jamais le village, par crainte de l'homme. Cependant, une meute de Wargs avait été signalée par une patrouille du fort et, depuis, le village était en alerte.

Les Wargs étaient plus grands que les loups. On les disait descendants des légendaires grands loups jadis amis des elfes, des hommes, des orcs et des nains. Retournés à l'état sauvage, ils n'avaient pas la crainte de l'homme et, en période de disette, attaquaient les villages en meutes pour y ravir quelques proies. Du bétail s'ils parvenaient à forcer les granges, des hommes si la faim les y acculait. C'est ce qui arriva ce jour la.

Lorsque l'alerte sonna, Morgan, âgé de dix ans, fermait la boutique. Les affaires marchaient bien pour son mentor ; tant le fort que la milice du village avaient besoin d'arcs et de flèches, aussi le travail ne manquait pas. Le jeune garçon passait ses journées à tailler, empenner, à compter et à apporter ici et la les commandes. Le maître artisan et l'apprenti venaient de terminer celle du fort, qui leur avait pris toute une semaine à préparer, et le chariot était prêt à partir à la première heure du lendemain. Fermant la porte, il fut alarmé par une forme noire et hirsute qui poursuivait un groupe d'enfants. Les jeunes fuyards venaient droit sur lui et Morgan leur fit de grands signes en désignant la réserve, non encore fermée.

Les enfants s'y engouffrèrent, hors d'haleine, et Morgan s'y précipita à leur suite, claquant la porte! L'apprenti facteur d'arc poussa le verrou juste à temps pour que le battant tremble sous le choc de la bête bondissant sur le bois. Il recula, où plutôt bondit d'un pas en arrière dans un sursaut effrayé !

L'animal ne s'avoua pas vaincu : Il se projeta contre la porte avec force, chacun de ses fracassements faisant tressaillir les enfants !

Morgan s'empara d'un arc et d'un carquois plein dans le chariot destiné au fort. Il passa le carquois sur son épaule, saisit une flèche et l'encocha. Le jeune garçon cria à ses protégés de se tenir derrière lui et de fuir par la porte de derrière à son signal. Il comptait attirer le grand loup sur lui pendant que les enfants fuiraient !