4. Nora

47 3 0
                                    


Le centre de la ville était un endroit des plus agréable. Les larges avenues bordées d'arbres et de parcs étaient aérées par plusieurs places - dont quatre conséquentes face aux édifices majeurs de la cité. Mais en cette période de l'année il était tout aussi froid que les bas fonds de la cité, sinon plus. Les bas quartiers étaient à l'abri des murailles et de la colline sur laquelle Jénérïn se perchait et, à moins de se tenir directement dans le port, on y était à l'abri des vents marins comme de ceux venus du continent. Le centre ville, où résidaient la plupart des nobles et certains des plus puissants bourgeois Jénérïns, était plus exposé aux vents froids durant l'hiver. Nora pouvait cependant y passer inaperçue dans une position plus confortable ; les aménagements coûteux des magiciens avaient du bon !

Presque face à l'entrée principale de la tour de la Confrérie des Tisseurs se trouvait une petite auberge. Quelques années auparavant, un magicien s'était pris d'affection pour l'endroit et avait fourni un cristal rouge, enchanté, d'une bonne cinquantaine de centimètres de haut. Celui-ci flottait au centre de la terrasse, au dessus d'un piédestal gravé de runes, et la maintenait chauffée comme par un bon feu de cheminée. Depuis, l'auberge était devenue la plus prisée du quartier et avait pris pour nom « Le Cristal Rouge », en l'honneur du don qui lui avait valu sa renommée.

Nora s'était donc tout simplement assise à une table, une tasse fumante devant elle, faisant mine d'être plongée dans un livre. Au cas où on l'aborderait, elle avait déjà lu l'ouvrage et connaissait le sujet sur le bout des doigts... il traitait d'un domaine qui touchait de près aux Ombres, sujet de prédilection de la jeune femme. La maîtresse des Ombres avait donc toutes ses chances de passer pour une apprentie venue étudier tranquillement à l'air libre, comme tant d'autres jeunes gens privilégiés...

Elle ne se rappelait pas, au juste, comment elle avait appris à lire, ni à s'intéresser à des sujets complexes touchant de près la magie, tout en ayant une pratique des plus éloignées des us des arcanistes de la confrérie. Quand elle avait repris conscience, étendue sur les pavés de cette ruelle sept ans auparavant, Nora ne se souvenait de rien.

Sortant de ses pensées, la jeune femme se concentra sur l'activité de la place. Les portes de la tour de la confrérie étaient grandes ouvertes et gardées par deux soldats de la ville. En terme de tour, l'établissement ne portait ce nom qu'à cause du bâtiment d'origine, visible en façade, au bas duquel les portes d'entrées béaient pour avaler et recracher ses occupants par grappes. L'édifice avait grandit au fil des siècles et comportait à présent plusieurs ailes rattachées à la tour.

Les renseignements nécessaires à la jeune femme furent faciles à obtenir. Leur source se présenta sous la forme d'un apprenti gorgé de suffisance. Un jeune noble tout droit sortit de la tour qui, cherchant une table libre, laissa tomber son regard sur Nora et son livre. Il s'approcha et la jeune femme dut se retenir d'envoyer une de ses dagues à travers chacun des yeux du magicaillon; ceux-ci glissèrent sur elle telles deux limaces indiscrètes et lui laissèrent une impression désagréable. Le jeune homme se pencha très légèrement, désigna la chaise face à elle, lui adressa un sourire et demanda :

« Cette place est libre ? »

Nora retint un soupir exaspéré.

« Non, j'attends un Renégat d'Ombre majeur afin qu'il arrache les yeux de tous les apprentis magiciens au regard trop insistant ! »

Tels furent les mots qu'elle avait envie de prononcer, au lieu de quoi elle se mordit la langue, offrit son plus beau sourire au jeune homme, s'entendit dire « Bien sûr. » et posa son livre sur la table, y croisant délicatement ses mains.

Sans-Esprit : 1. La Pierre BleueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant