6. Nora

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Nora attendait, le cœur battant, d'entamer cette discussion, prête à argumenter bec et ongles pour se faire accepter en tant qu'apprentie. Elle se tenait le dos droit, la tête haute, tâchant de ne pas trahir sa nervosité. Il fallait dire que son hôte en imposait ! Le Zeinhaldien était grand - il la dépassait de plus de deux têtes - et la fixait d'yeux sombres insondables. Il était vêtu de blanc, comme lorsqu'elle l'avait suivi. Il ne portait pas de robes, comme le voulait l'idée reçue commune à propos des magiciens, mais des vêtements plus pratiques, bien que témoignant de la première élégance. Les pans et ourlets de sa tunique étaient brodées de délicates runes argentées, des longues manches dépassaient des dentelles noires Argannes, aussi fines que des toiles d'araignées, qui devaient à elles seules valoir une fortune. 


Elle s'attarda sur le bâton du magicien, une véritable œuvre d'art d'ébène couvert de runes argentées et surmontées d'une pierre taillée noire et translucide. Une faible lueur semblait y pulser et Nora se surprit à avoir du mal à en détourner les yeux. Elle revint à la réalité à la première question de son hôte. Arénès de Hautfort avait un sourcil haussé, tant de surprise que de curiosité, mais son ton était sceptique. Il serait difficile à convaincre.


Le magicien avait une voix profonde et grave, que la jeune femme pouvait aisément deviner passer de la douceur à une tempête capable de surpasser les cris d'une foule.


« Vous pensez donc posséder un lien étroit avec la trame universelle ?- Oui, j'en suis certaine. » Nora était sûre d'elle. Elle n'avait pas besoin de mentir ; les dons des maîtres des ombres étaient, à la base, de la même nature que les dons de naissance des magiciens ! « Je peux agir sur des ombres. Cela peut paraître fou, mais je peux les faire bouger ! »


Le maître mage acquiesça, pensif. Il s'accouda au fauteuil et laissa sa joue reposer entre son pouce et son index. Le regard du noble Zeinhaldien se fit inquisiteur, surpris et agacé à la fois.


« Vous pouvez vous rendre demain matin, dès neuf heures, à la tour de la confrérie. Je ne vois pas pourquoi vous me dérangez à cette heure-ci pour si peu. »


Piquée au vif, la jeune femme fronça les sourcils et foudroya le magicien du regard. Oh si elle avait pu déchaîner les forces que tous ces privilégiés apprenaient à maîtriser dès qu'ils étaient en âge de lire ! Mais tel n'était pas le cas et Nora devrait se contenter de mots.


« La tour demande un prix que je ne peux payer. J'ai appris que vous cherchiez des élèves depuis peu par un apprenti de la tour.- Je ne vois toujours pas pourquoi vous venez me voir. Je ne payerai pas l'inscription pour chaque personne démunie qui frappera à ma porte ! »


De curiosité elle ne voyait plus nulle trace, juste une affirmation froide et logique. Mais Nora ne s'avouait pas vaincue ! Elle fit prendre à sa voix un tour légèrement dramatique, avec un rien d'étranglement dans la gorge.


« Je ne vous demande pas de payer. Je me moque de la confrérie et de tous les serpents enfarinés qui y grouillent ! Je cherche un enseignement, quitte à travailler pour vous pour payer le temps que vous m'accorderez. Je ne veux plus que... »


Elle s'interrompit, volontairement, comme si elle en avait dit plus qu'elle ne le désirait. Si la voleuse en croyait la réputation des Zeinhaldiens, ils considéraient la femme comme faible mentalement et physiquement ; elle ne le rebuterait pas avec ce qu'il pouvait prendre pour « cette excessif orgueil féminin des Jénérines ». Montrer un peu, juste un brin, de détresse pourrait, à terme, la servir.

Sans-Esprit : 1. La Pierre BleueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant