En à peine quelques jours de repos chez son maître, Nora s'était surprise à avoir pris un peu de poids. Chose qu'elle n'était parvenue à faire les dernières semaines, même soutenue par la générosité de son mentor et la brusque amélioration de son quotidien.
Les incessantes courses entre les bas quartiers, la Tour, la demeure d'Arënès, la pression des masques... Le guérisseur elfe accusait tout cela, du peu que la jeune femme lui en confiait. Inedhen était avare de commentaires, mais la jeune femme avait l'impression constante que le guérisseur contenait son jugement.
Son mutisme et son regard désapprobateur mis à part, il s'était montré encourageant. L'état de la jeune femme s'améliorait de jour en jour et la longue plaie noirâtre, entourée de veines sombres et de chairs boursouflées, s'était muée en une fine ligne rouge. Propre, presque entièrement refermée.
La cicatrice finirait même par disparaître, avec les soins adéquats.
Un matin arriva où il lui permit de se rendre a la tour, en compagnie de son maître. Celui-ci l'attendait, assis à la table de la salle à manger lorsqu'elle descendit prendre son petit déjeuner.
Lorsqu'elle avait reçu l'autorisation de se lever et commencé à partager la table d'Arénès, Nora n'avait pu s'empêcher d'observer les gestes rituels qu'il exécutait lors des repas. Le moindre mouvement semblait emprunt d'une signification qui échappait à la jeune femme : la manière de prendre sa tasse, de servir son thé, de saisir les aliments ou même de poser ses couverts.
Les Jénérins bien nés appliquaient eux aussi quelques gestes rituels, mais rien d'aussi complexes que ceux du Zeinhaldien en exil.
Tout en beurrant un petit pain en silence, observant son mentor, Nora fut surprise par le regard perçant du Maître mage. Ce dernier posa le petit pain qu'il était en train de manger, s'essuya la bouche d'un coin de serviette et croisa les mains sous son menton.La jeune femme s'interrompit également, prête à une confrontation qu'elle attendait depuis des jours.
L'apprentie magicienne était persuadée que son mentorl'avait ménagée en raison de son état, mais qu'un juste retour deflamme était à attendre, suite à sa trahison. En attendant, lemagicien avait enseigné à ses deux apprentis dans sa demeure, sansplus la quitter que Nora ne pouvait le faire.
L'apprentie se sentait prête à crever l'abcès. Et la jeune femme désirait plus que tout, à présent, poursuivre son apprentissage. Quoiqu'il exige d'elle, elle était résolue à s'y plier.
« Deux personnes d'importance exigent une entrevue avec toi, Nora. » Le Zeignhaldien saisit la théière posée devant lui et versa un peu de liquide fumant dans sa tasse. La jeune femme ne put s'empêcher de décortiquer le geste, élégant de simplicité, qui semblait avoir nécessité des années d'apprentissage. « La première est Floriant Delhuart. A mon sens, tu dois le rencontrer le premier. De ce que tu lui répondra dépendra l'attitude de la confrérie à ton égard. »
Nora crispa légèrement ses mains sur le bord de table.
« Dois-je tout lui raconter par le menu ?
- Seulement s'il semble déjà au courant. Sinon, l'histoire dont tu devras le bercer sera la même que celle que j'exige que tu serve à ton second interlocuteur.
- Qui sera... ? Commença-t-elle à demander.
- Ne m'interromps pas ! » La coupa-t-il sèchement.
Nora dut résister au réflexe de baisser la tête. La jeune femme n'avait jamais aimé courber l'échine, mais les réflexes des enfants des rues face à des adultes haussant le ton étaient durs à oublier! Autant elle ne l'avait jamais fait que pour endormir leur méfiance, autant son maître l'impressionnait réellement.
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Sans-Esprit : 1. La Pierre Bleue
FantasyDepuis dix ans, Arénès tente de s'imposer dans la Confrérie des Tisseurs, le grand Ordre des Magiciens. Cependant, ses origines et sa nature sont des freins dans un monde rongé par l'obscurantisme et l'inquisition. Et pourtant... il n'est plus humai...