16. Arénès

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Satisfait de sa soirée, Arénès remontait la colline au pas. Le dîner s'était poursuivi tard, mais pas trop, il l'espérait, pour croiser son élève avant qu'elle ne quitte sa demeure. Il espérait la convaincre d'accepter son aide concernant la part de sa vie oblitérée par son esprit. Aussi le magicien pressa-t-il sa monture, qui adopta un petit trot en s'engageant sur le chemin qui, déporté de la grand route, escaladait la colline où se perchait sa demeure.

Lors de son arrivée à Jénérïn, tout lui avait paru étranger. Le jeune magicien n'avait connu alors que deux types de paysages. Les luxuriants paysages Zeinhaldiens, aux couleurs vives et aux arbres immense, parés de l'architecture sombre et travaillée de son pays natal, dans lesquels il avait grandit. Et la Tour-Arbre de Zirta, domaine d'Erion Sylvanus, son premier mentor, où tout semblait laissé au hasard d'une nature qui s'accordait étrangement aux besoins de l'elfe et des autres occupants de la tour. À côté, les constructions de pierre claire, épurées et construites dans un soucis exagéré de régularité, lui semblaient ternes et plates.

De très rares éléments attachaient Arénès de Hautfort au Comté. Le premier était la tour de la Confrérie, qu'il aimait de cet amour conflictuel qui le torturait en lui cédant tout juste assez de reconnaissance et d'espoir pour y poursuivre ses études. Le troisième avait été découvert ce soir en la demeure des de Ker. Le second, il le gravissait sur le dos de son cheval.

La colline lui avait rappelé, malgré des couleurs moins vives et l'odeur de plantes différentes. L'allée bordée d'arbres qu'il remontait ressemblait à un chemin souvent emprunté par le Maître mage, dans son enfance, jusqu'à un bâtiment en ruines qui avait été le théâtre de ses jeux enfantins. Les rangées d'arbres n'avaient pas été plantées au bord du chemin. Hétéroclites, elles étaient le vestige des forêts qui coiffaient autrefois les collines alentours. En Zeinhald, il était de tradition de conserver, au bord des chemins et des terrains, une part de la nature qui y avait jadis régné... la ressemblance avec les paysages de son enfance était donc frappante.

Pour couronner le tout, Arénès y avait découvert, au sommet, une tour de garde en ruine, abandonnée depuis plusieurs années. S'y sentant tout naturellement chez lui, il l'avait achetée et aménagée. La demi heure de route à faire chaque matin et chaque soir était amplement rachetée par la paix ressentie par le magicien à l'heure de rentrer chez lui.

Personne ne venait y frapper, satisfaisant ainsi le besoin de solitude du Zeinhaldien en exil. Ses quelques serviteurs étaient discrets, bien payés et jouissaient de quartiers plus confortables que la moyenne... ainsi il s'était assuré de ne pas devoir en changer et de ne pas devoir en former d'autres à respecter ses habitudes rigides et ses exigences complètement étrangères aux coutumes Jénérïnes. Vardän, qui l'avait accompagné depuis son départ du domaines de Hautfort, gérait d'ailleurs tout cela avec brio.

Oui, on pouvait dire que le Sans-Esprit avait « fait son trou ».

Le chemin sinuait jusqu'en haut de la colline et, durant la moitié du trajet, il était impossible d'apercevoir sa tour. Ensuite, on débouchait sur une zone plus dégagée, le chemin toujours bordé de quelques arbres de plus en plus épars.

Arénès savait exactement à quel moment il jouirait à nouveau de la lumière de la lune, apercevrait celles de sa demeure et pourrait donc accélérer et relâcher sa vigilance. C'en était devenu routinier : à l'approche du dernier coude du chemin, il se préparait à passer au trot et anticipait déjà la fin de soirée, passée en études personnelles où un livre en main devant sa cheminée.

Le magicien se redressait déjà pour passer au trot lorsqu'il arrêta brusquement sa monture. Le destrier Argan renâcla et fit quelques pas sur place, mécontent du traitement inhabituel imposé par son cavalier.

Sans-Esprit : 1. La Pierre BleueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant