Le bout de mes bottes caresse l'air, mes talons sont la seule chose me maintenant au sol. Si je me penche en avant je perds mon équilibre. Mais je me tiens immobile, le souffle court. Le bord de la falaise est dangereux. L'air est froid et il me pousse légèrement en arrière, comme pour me ramener en lieu sûr. Je ne me tiens à rien. Je me demande qui cédera en premier entre mes talons et mon courage. Mon cœur bats fort.
Thump.
Thump.
Thump.
Thump.
Mais je suis calme. Aussi calme que si j'étais au bord d'une rivière les pieds dans l'eau à attendre que le temps passe. Aussi calme que je le serais dans les bras d'un parent aimant. Peut-être que c'est l'embrassade du vent d'hiver qui m'apaise. Mes oreilles semblent se glacer. Les anneaux plantés dans mon cartilage remuent comme insatisfaits de la place qui leur a été attribué. Peut-être n'aiment ils pas être pendus aux oreilles pointues d'un monstre.
Je fais passer une mèche de cheveux derrière ladite oreille et me penche doucement en avant. Mes talons se soulevant timidement du sol. Et je m'imagine tomber, tomber, tomber, tomber, tomber, tomber, tomber et m'écraser.
Splash.
Le sol se teintera de noir et quelqu'un pensera avoir découvert une source de pétrole. Puis il trouvera mon cadavre et ainsi, même dans la mort je réussirais à décevoir quelqu'un. Il se dira qu'il a trouvé un monstre, que quelqu'un la poussé de la falaise car après tout un monstre ne se suiciderait pas. Cela ferait pitié. Et personne ne veut éprouver de la sympathie pour un monstre.
Une bourrasque soulève mon chapeau et je suis obligée de reculer pour le rattraper, le replaçant vivement sur ma tête, je cache les racines noirs de mes cheveux.
C'est un chapeau étrange dont je ne connais pas le nom, il tombe en pointe sur le devant et semble se redresser par derrière, j'appelle ça un chapeau de chasseur. Car ces chapeaux ne semblent pas être portés par qui que ce soit d'autre. Le cuir qui le constitue est noir et je l'aime beaucoup car le noir est une couleur simple. Je m'y sens à l'aise, je n'ai pas l'impression d'en faire trop. J'ai peur d'en faire trop.
Lysithea.
Un sursaut. Je me mets droite comme un automate. J'attends.
Secteur A67. Banshee.
"Compris."
Je me permets de me détendre. La communication a été rompue. Mon crâne est encore brûlant, la voix y résonne doucement comme un écho dans une cave. À croire que j'ai la tête vide. Un soupir. Je porte une main à mon col et le redresse. De même pour mon chapeau. Et je me mets en marche. Mon arme à feu battant ma cuisse à chacun de mes pas. Ma faux pesant lourdement dans mon dos.
Le secteur A67 est un territoire dont je suis en charge. Personne n'a le droit d'y piétiner pas même un autre chasseur. Il en est ainsi pour nous tous. On chasse. On tue. On se nourrit. On se renforce. On tourne le dos et avant même qu'on ne le réalise on recommence. Chacun son territoire. Chacun ses préférences. Chacun ses armes. Chacun ses monstres.
Les banshees sont des proies faciles. Elles sont faibles dès lors qu'on connaît leur point faible. Un peu de cire et une arme aiguisée. Il faut attaquer rapidement, ne pas leur laisser le temps. Se boucher les oreilles et sacrifier son ouïe le temps de l'achever. Je ne les aime pas particulièrement mais j'apprécie leurs apparences immondes qui empêche toute culpabilité de percer le voile de mensonges nécessaire à ma santé mentale. Tous les monstres ne sont pas monstrueux. Il y en a comme moi. Qui ont des yeux, des émotions et des peurs. Et quand une lame les transperce ils pleurent. Et on ne peut rien y faire. Car ce sont des monstres. Et il n'y a aucune pitié à avoir pour les monstres.
Le sol est froid, en tout cas je crois qu'il l'est. Gelé serait un meilleur mot pour l'expliquer. L'herbes craquent sous mes pieds comme si elle ne pouvait pas se plier, comme si elle n'était pas souple. Et je sais que c'est faux car quand il fait beau on peut s'y vautrer comme un animal sans avoir l'impression d'être poignardé par des milliers de petites aiguilles. Donc elle craque car il fait froid et que le gel a pris le dessus durant la nuit.
Quand j'étais petite j'adorais que les choses craque sous mes pieds. Maintenant cela m'inquiète car je ne me sens pas discrète et je crains qu'on se jette sur moi pour me déchiqueter et me tuer et me tuer et me tuer.
Sauf que c'est moi qui tue.
Et je ne ressens aucune pitié. Pour les monstres. Pour moi-même. Pour la fille que j'aurais pu être mais qui s'est perdue en chemin.
Il ne faut pas. Il ne faut pas penser à ce qui aurait pu être. Ce qui aurait pu me plaire. Ce qui aurait pu être différent. Car le temps suit son cours et je ne peux nager à contre-courant. Je ne ferais que perdre mon temps.
Les banshees sont des monstres drapées de noirs. On les dit féminines car leur cri est aigu. Mais il est bien dur d'attribuer un genre à une silhouette drapée.
Leurs yeux crépitent sous le tissu qui les recouvre, puits de flammes et de rage. Et j'aime beaucoup leurs yeux. Je ne sais pas pourquoi. C'est joli non ? Des yeux plein d'émotions. On n'en voit pas souvent. Pas ici. Pas dans ce monde. Pas dans un miroir.
Oh. La voilà.
Je l'imaginais plus loin. Mais ce n'est pas vraiment important.
J'agrippe ma faux, un coup sec et elle se déplie en lance. S'étendant sur plus de deux mètres. Les bandages qui recouvrent la poignée tombent en lambeaux et je me promet de les resserrer une fois rentrée. La cire dans mes oreilles me permets de ne pas m'écraser au sol quand elle se mets à crier. C'est un bruit distant. Comme un battement de cœur dans la gorge. Comme un cri étouffé dans un oreiller.
Je m'élance, oriente la lame, saute et plante. L'arme s'enfonce dans le corps comme dans du beurre. Plante. Retire. Plante. Retire. Plante. Retire. Et le crie se tue. Et le silence s'abat. Et le sang coule le long de la lame jusqu'à atteindre la poignée.
Je prends l'outil accroché à ma ceinture, celui que l'on attribue aux chasseurs. Une sorte d'arme qui récolte le sang en grande quantité, ce n'est pas une seringue ni un couteau. C'est un mélange des deux. C'est laid, sale et peu importe combien de fois on le lave les microbes ne semblent pas vouloir s'en déloger. Mais je récolte, tout en douceur, et le porte à mes lèvres. Le sang coule sur ma langue et descends le long de ma gorge. Il est chaud, âcre, sent et a le goût de métal. L'épais liquide s'échappe de ma bouche, prenant la fuite le long de mon menton, menaçant de s'écraser au sol. Je récupère la goutte rebelle avec ma langue et essuie nonchalamment mes lèvres avec mon gant. Ironique n'est-ce pas ? Que même les monstres aient le sang rouge.
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Black Blood #1
Любовные романыUn homme qui vit son rêve. Un avenir de misère. De nouveaux dangers à chaque coin de rue. Lysithéa est perdue. Depuis sa tendre enfance Lysithéa ne connait que la chasse, la soif et la terrible envie de changement. Et voilà qu'on lui offre sur un pl...