Black Blood #1

CINQ

Je ne pensais pas que je pourrais y arriver si jamais on me le demandait. Mais quand je vois la facilité avec laquelle je porte mon arme tout en le traquant je me dis que ce ne peux que être aisée. Trouve. Vise. Tire. Nettoie.

Et c'est fini.

Il est facile de se dire que ce sera impossible. Que la victime est humaine. Que c'est une vie qu'on ne devrait pas pouvoir prendre de nos mains. Mais il ne suffit que d'un ordre.

Et le mécanisme s'actionne. Et il n'est plus question de droit, de justice ou de vie. C'est juste un ordre.

Mais tout de même. J'ai peur, j'ai peur de perdre mes moyens quand la balle devra partir. Et je refuse d'utiliser ma faux, ce serait trop dur, trop sale, trop violent. Alors je garde mon arme à feu en main et je serre ma prise sur son manche. J'exhale. J'inspire. J'exhale. Je retiens mon souffle. J'essaye de ne pas paniquer.

Je n'ai jamais tuée que des monstres. Jamais je n'ai tuée un homme. Cela va à l'encontre des règles qu'un chasseur doit respecter. Ne jamais blesser un humain même si il vous blesse. Ne jamais faire passer notre vie avant la leur. Ne jamais agir comme eux et les tromper en se faisant passer pour l'un d'eux. Eux. Je n'ai jamais enfreint la moindre de ses règles car de toute manière je ne m'en pense pas capable. Et je sais que si, aujourd'hui, j'ai l'ordre de le tuer alors c'est qu'il n'est pas humain. C'est un monstre et je dois le considérer comme tel. Comme moi.

L'idée que l'on puisse me tuer sans les moindres répercussions me fait frissonner. Mais je ne trouve pas cela injuste. Rien de plus normal. Et il est comme moi. Comme moi, comme moi, comme moi.

...

Sauf que son sang est rouge.

Sauf qu'il a du courage.

Sauf qu'il a une volonté propre.

J'ai peur. Peur de ne pas réussir à exécuter cet ordre. Et alors quoi ? Qu'est-ce qu'il m'arrivera si j'échoue ? Qu'est-ce qu'il adviendra de moi ?

Où mon corps sera t-il disposé ? En disposera t-on ? Qui pensera à moi par delà la pierre de ma tombe ? Aurais-je une tombe ?

Et lui ?

Aura t-il une tombe ?

Non.

Nos existences ne valent pas qu'un tailleur de pierre s'y attarde.

J̶'̶a̶i̶m̶e̶r̶a̶i̶s̶ ̶a̶v̶o̶i̶r̶ ̶u̶n̶e̶ ̶t̶o̶m̶b̶e̶.̶ Tant pis. Pas de larmes et de fleurs pour la chasseuse blanche. Rien de plus que le silence du vent traînant ses cendres que personne n'ira ramasser.

Je marche. Je marche plus lentement que je n'aimerais l'admettre. Je ne suis pas spécialement pressée. Il fait nuit alors les esprits s'accrochent à mes vêtements. Ils tirent sur mes cheveux, essayant de les sortir de ma veste. Soulève mon chapeau avant de le relâcher sous l'effort. Ils triturent les plis de ma chemise, passent sur mon visage comme une caresse, s'infiltrent dans l'espace entre mes bottes et mon mollet.

Les esprits sont inoffensifs. Misérables petits êtres transparents ne comportant que deux orbites vides et une bouche semblable à un gouffre. Leur corps ne sont qu'une pâle copie de celui qu'il possédait de leur vivant. Parfois ils veulent plus d'attention qu'il est possible pour un être physique de leur offrir alors ils crient. Et leur cri ressemble à la sonnerie stridente de trente réveils à l'unisson. Et on ne peut pas y échapper. Donc il ne faut pas les offenser. Pas même les chasser de sa main. J'ai appris à les laisser s'amuser, m'observer, me visiter comme si j'étais une épave au fin fond de l'océan dans laquelle les poissons s'immiscent gaiement. Et bien que cela me semble parfois long j'essaye de supporter et de faire comme si leur compagnie ne me rendait pas folle. Parce que leur contact, qui n'en est même pas un, me rappelle qu'ils sont l'une des rare peau que j'ai jamais touchée. Parce que je n'ai presque jamais sentie quoi que ce soit de plus similaire à une peau que ça.