Chapitre 6.

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Après une journée entière de déballage de carton, mon 12m2 ressemble plus a un placard en bazar qu'à un appartement. Mes vêtements s'amoncellent sur mon lit en attendant d'être rangés dans les tiroirs sous mon matelas, ma minuscule table à manger est recouverte du peu de vaisselle que j'ai apporté avec moi et mes nombreux livres sont empilés en une immense tour surmontée de ma lampe de chevet. Je soupire en consultant ma montre. 21h17, et je ne suis qu'au début de l'étape de rangement de tout ce bazar ! Au même instant, une notification m'informe que mon livreur est en bas avec mon plat de ce soir. Je sors a la hate de ma chambrette et ne réalise que dans l'ascenseur que je suis en chaussette. Mais l'appel de la nourriture est trop puissant et je m'aventure dans la petite rue, les pieds recouverts de tissu à pois roses. Cela ne semble pas choquer le livreur qui me tend ma commande sans même un bonsoir. Je lui donne un pourboire et le remercie rapidement avant de retourner à ma tâche.
Une fois dans mon appartement, je m'assois en tailleur au milieu des cartons à moitié défaits pour déballer mon repas fumant. A peine ais-je ouvert un côté du paquet que l'odeur délicieuse de vietnamien vient à mes narines. Je prends triomphalement les baguettes fournies et les plonge dans mon poke, remplis de nems au poulet, de nouilles en sauce et de divers légumes sautés. En fourrant une quantité exagérée de nouilles dans ma bouche, j'ai le sentiment de ne m'être jamais autant sentis à ma place depuis que je suis arrivée à Londres, que dans ce petit appartement, qui est mon premier chez-moi et qui est la matérialisation de mon indépendance nouvelle.

J'attrape une boîte dépassant d'un des cartons près de moi et tente de la faire tenir elle aussi sur mes genoux, sans pour autant bousculer l'équilibre précaire de mon repas. Je l'ouvre ensuite d'une main et souris en réalisant qu'il s'agit de ma boite de photos souvenirs qui étaient affichées dans ma chambre d'étudiante. Les visages souriant de mes frères et sœurs et moi devant un sapin de Noel m'arrache un sourire et je grimace devant celle montrant les mains de mon ex de l'époque et moi devant la plage. Vraiment cucul celle-là, je devrai m'en débarrasser ! Mais alors que je commence a en corner les bords pour la froisser, la photographie suivante attire mon attention. C'est un selfie que j'ai pris avec ma mère, lors de ma remise de diplôme, à la fin du lycée. On m'y voit rayonnante avec mon chapeau plat et mon bac fièrement en main et la fierté de ma maman se lit dans ses yeux, qu'elle ne dirige pas vers la caméra, mais qui sont tournés vers moi, pleins d'amour. Je reste un temps indéfinissable à contempler ce souvenir heureux, quand mes nouilles prennent un goût salé. Je pose les baguettes et le poké puis passe ma main sur mon visage, que je comprends trempé. Mes yeux me piquent et je bas frénétiquement des cils, ce qui ne fait qu'accroître l'humidité de mes joues. Dans un reniflement, je repose religieusement la photographie dans la boîte et enserre ma tête de mes mains pour me forcer à changer mes pensées. Mais mon souffle se fait court et des petits couinements s'échappent de mes lèvres en même temps que d'autres souvenirs ressurgissent : quand a peine quelques mois après ce jour heureux maman a découvert un grosseur sous son sein, quand les examens ont révélés l'ampleur de son cancer, quand son état s'est dégradé a une vitesse folle, quand j'ai décidé de mettre en pause mes etudes et tout ma vie pour passer ses derniers instants avec elle. Puis l'annonce déchirante mais pourtant si attendue depuis des mois, l'enterrement, où tout le monde voulait montrer son soutien, mais aucun ne pouvait comprendre ce que je ressentais, que c'était comme si j'avais le cœur explosé. Puis la reprise du quotidien, sans elle. Mary qui n'a cessé de vouloir se montrer forte et être notre nouvelle figure maternelle à Gabriel et moi. Papa qui était une épave pendant des mois et qui ne se serait peut-être jamais repris si ma grand-mère ne s'était pas installée quelque temps à la maison pour non aider, mais surtout pour lui montrer qu'il devait se battre, se relever, pour ses enfants. Aujourd'hui je sais que la plaie est cicatrisée pour nous tous, mais y penser est comme si toucher cette partie plus sensible de moi pourrait la rouvrir à tout moment. Donc je me contente de penser a ma mère comme une étoile protectrice au-dessus de ma tête, dont le souvenir est gravé dans ma tête et dans mon cœur.

Call me LadyOù les histoires vivent. Découvrez maintenant