Les yeux fixés sur l'horizon depuis de nombreuses minutes, je suis obligé de cligner pour ne pas obscurcir ma vision. Ce n'est pas l'activité la plus amusante, mais c'est la meilleure que j'ai trouvée pour ne pas avoir à affronter les regards en biais de Heathcliff. Bien droit dans son siège et parfaitement rasé malgré l'heure matinale, j'entends ses doigts pianoter frénétiquement sur son ordinateur portable. Et je sens ses yeux sur moi à intervalles réguliers. Il se demande surement pourqoui il est obligé de voyager avec un folle telle que moi ! J'ai l'impression que mon corps entier se détraque ces derniers temps, a l'image de mon évanouissement sur l'herbe du jardin Neville. Il m'a fallu quelques claques et un verre d'eau entier sur la face pour me faire revenir. Mais quand en ouvrant les yeux je n'ai vu que les traits inquiets de l'ainé des Neville, je n'avais qu'une envie, les refermer. J'ai expliqué mon malaise par la forte chaleur inhabituelle et l'incident s'est clôturé par une carafe entière de limonade glacée pour me rafraîchir. Mes amygdales s'en souviennent encore et je soupçonne mon mal de gorge récent d'en découler.
Même si Heathcliff et moi nous sommes adressés à peine quelques mots depuis le début du vol, la présence de son carnet brun au fond de mon sac me rassure. Je ne sais pas pourquoi je l'ai glissé là au moment de faire ma valise, mais le relire me permet de mieux comprendre. De me prouver que je ne suis pas folle. Que mon corps a raison de partir en vrille. Parce qu'il ressent que tout est en train de changer.
Soudain la voix du pilote grésille à travers les hauts-parleurs :—Mesdames et messieurs, il est 8h45 et nous amorçons notre descente sur Belfast. La température ambiante est de 15 degrés Celsius mais il y a de fortes rafales de vent. Passez un merveilleux séjour et nous espérons vous accueillir très vite de nouveau en notre compagnie.
A peine la communication coupée je me lève pour récupérer mon sac de voyage rangé en hauteur. Je me contorsionne pour rester le plus possible de mon compagnon de voyage et tends les bras vers le rangement. Au moment où j'attrape la hanse grenat, une violente rafale bouscule l'engin volant. Je ne m'attendais pas à un tel mouvement brusque et titube quelques secondes en cherchant mon équilibre avant de me ratrapper a l'accoudoir de mon voisin, dont je griffe le bras au passage.
Je me redresse l'instant suivant malgré les bringuebalants persistants de l'avion.
—Désolé, je souffle en observant un tracé rouge apparaître sur son avant-bras.Il y jette un œil et hausse les épaules comme si mes ongles avaient à peine la force d'un insecte inoffensif. Il entrouvre les lèvres pour me répondre mais une autre turbulence me fait basculer. Je manque d'atterrir directement sur ses genoux mais mes mains ont la bonne idée de se rattraper encore une fois a son siège, au dossier cette fois.
—Vraiment désolé, je me répète, mais n'osant néanmoins pas me relever.
Malgré son recul perceptible, il ne semble pas le moins du monde ennuyé. Un sourire moqueur naît même au coin de ses lèvres. Qui sont beaucoup trop proches de moi d'ailleurs. Je louche sur ses deux lèvres charnues qui se rejoignent en un énigmatique sourire, je peux discerner la moindre commissure ou gerçure modifiant leur couleur carmin. Soudain, elles commencent à s'animer sous mes yeux :
—Je crois que vous feriez mieux de vous rasseoir.
Je me sens rougir jusqu'à la racine des cheveux et me laisse tomber sur mon siège dans un son sourd. Je garde les yeux rivés sur mes doigts pour qu'il ne remarque pas mon trouble. L'avion ne tarde pas à se stabiliser et les lumières indiquant le droit de se déplacer se rallument. Avant que je ne n'amorce le moindre mouvement, Heathcliff se lève et attrape mon sac. Il le dépose sur le fauteuil où il était assis une seconde plus tôt. Je le remercie du bout des lèvres et tire mon bien vers moi.
Notre sortie de l'aéroport est rapide, nous le connaissons tous deux très bien comme le prouvent nos pas confiants. Je me demande quand nos chemin vont se separer quand il se stoppe devant une voiture noir aux vitres teintées.
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Call me Lady
RomanceVictoria quitte sa campagne irlandaise natale pour partir vivre à Londres où elle a été engagée comme journaliste dans un magasine très en vogue. Le premier dossier de Victoria est un article sur l'aristocratie britannique qu'elle doit dépeindre sou...