Chapitre 17.

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Je dois rassembler toutes mes forces pour ne pas m'enfuir en courant. Heathcliff Neville est là. Dans ma maison. Avec ma famille. Nous sommes tous attablés autour d'un chocolat chaud et des biscuits. Si on ajoute à ce décor la pluie battante, cette scène se rapproche plus d'un goûter automnal qu'une fin d'après-midi d'août. Depuis que je suis assise, je ne parviens pas à détacher mes yeux de mes mains enserrant ma tasse, comme si c'était la seule chose avec du sens. Parce que mon ennemi préféré discutant joyeusement avec mon père et ma sœur, ça n'a pas de sens. Le peu de fois où je me risque à lever les yeux dans sa direction, j'ai l'impression d'être face à une nouvelle personne. Sa voix est plus douce, ses traits plus détendus et un sourire sincère est greffé à ses lèvres. Lui aussi est passé sous la question familiale, mais cela ne semble pas le perturber. Il répond volontiers, avec une amabilité déconcertante. Qu'est-ce qu'il fait là d'abord ?! Je renifle, méfiante. Peut-être qu'il a découvert le pot-aux-roses et qu'il est là pour se venger. Non c'est impossible, il ne se montrerait pas aussi jovial. Et puis il est plus adepte des accès de colères brefs que des plans machiavéliques.
Néanmoins, je remarque qu'il fixe souvent sa montre. Il ne va pas rester longtemps. Tant mieux. Plus vite il partira, plus vite je pourrais retrouver la sérénité qui m'a quittée dès que son regard sombre s'est de nouveau trouvé dans mon entourage. Pour encore plus écourter sa visite, je me lève, rassemble les assiettes vides. Il baisse les yeux sur le manège de mes mains puis recule à son tour sa chaise.

—Je vais vous aider, Victoria.

—Ce n'est pas la peine, je réponds sans oser croiser son regard, vous êtes notre invité, ce n'est pas a vous de faire ca.

Je disparais dans la cuisine où je jette presque la vaisselle dans l'évier avant de me laisser choir contre un plan de travail. Comme à son habitude, Heathcliff n'en fait qu'à sa tête et me rejoins la seconde suivante les bras chargés de tasses. Je sais qu'il a remarqué mon trouble quand il ferme la porte de la cuisine du plat de son talon. Mes yeux s'emplissent d'appréhension au son de claquement. Mais hors de question de le laisser avoir l'avantage sur moi, alors j'attaque en première :
—Je ne comprends pas Heathcliff. Pourquoi êtes vous là ?!

—Comme je vous l'ai dit tout à l'heure, je voulais vous saluer vous et votre famille avant de retourner à Londres. Ce n'est qu'un petit détour de vingt minutes, pas une expédition dans le désert ! il marmonne tout en allumant le robinet.

Il commence à laver les tasses brunies par les restes de café. Il me tourne le dos et je suis sûre que ça l'arrange bien. A vrai dire moi aussi je suis bien contente de ne pas avoir à l'affronter en face.

—Ce goûter m'a semblé un peu plus long que vingt minutes, je raille.

Sans paraître le moins du monde perturbé par mon ton, il attrape le torchon pour essuyer la vaisselle. Il se tourne finalement vers moi et hausse les épaules, résigné :
—Si vous voulez entendre que je suis venue pour vous surveiller et vérifier que vous disiez vrai sur vos origines, pensez le si ça vous fait plaisir.

—Je veux la vérité Heathcliff, je siffle en pointant mon index le plus menaçant.

—Il n'y a pas de vérité, il dit d'un ton plus bas en posant une tasse sèche, où alors je ne la connais pas moi-même.

Je croise les bras sur ma poitrine, sans comprendre le sens de ses mots. Ses mots qui me paraissent si compliqués quand ils sortent de sa bouche mais si clairs quand ils sortent de son cœur. Alors j'avoue sans relâcher mon regard sur lui :
—J'ai lu vos poèmes Heathcliff.

Une multitude de sentiments semblent tout à coup l'assaillir et fissurer sa façade impassible. Sa main se serre autour du torchon, sa mâchoire se crispe. Un instant je pense qu'il va nier, inspirer un grand coup et retrouver son masque mais ses épaules s'affaissent.

Call me LadyOù les histoires vivent. Découvrez maintenant