Le soleil commence à décliner quand je pénètre enfin dans mon petit appartement. A peine entrée, je me laisse tomber sur mon lit, retire mes chaussures avant de masser mes pieds endolories. J'ai passé une bonne partie de ma journée dans les transports, et l'autre bonne partie à courir dans tous les sens à la recherche de Heathcliff. Mais de tous les endroits que j'ai visité, je suis restée bredouille. Il n'était ni dans l'autre appartement des frères à Mayfair, ni dans à son bureau dont Edward m'a communiqué l'adresse. Il doit sûrement être rentré chez ses parents en périphérie de la ville et je me vois mal me pointer chez eux à la lumière des révélations à mon égard. Ou alors peut-être est il chez Margaret. Ma gorge se noue rien qu'à cette idée. Pourtant, je dois me rendre à l'évidence : il est temps de baisser les bras. Je ne reverrais jamais Heathcliff, et même si c'était lui qui avait partagé mon article, qu'est-ce que cela va apporter ? Même si j'aimerais bien savoir quel est son intérêt dans tout ça... Je me relève de mon lit pour retirer ma veste. Mon mouvement provoque un petit courant d'air qui fait voler un bout de papier. Il flotte quelques instants dans les airs, avant d'atterrir sur mon drap, comme un message divin. J'attrape du bout des doigts le dernier poème que Heathcliff m'a écrit alors que nous nous baladions dans le Tate Museum et soudain, tout s'éclaire. Je réenfile mon manteau en vitesse, fourre la feuille dans ma poche et quitte en trombe l'appartement. Je ne prends même pas la peine de guetter un taxi, je descends à la hâte les marches qui mènent au métro. Je piètine comme une folle impatiente alors que le train arrive. Meme si de nombreux sièges sont vides a cette heure tardive, je reste debout, cramponée a la barre jaune que je tapote frenetiquement du bout des doigts. Je dois changer de ligne, mais heureusement le métro arrive dès que je débouche sur le quai, ce qui me fait croire en ma bonne étoile. J'ai besoin de me rattacher au moindre signe favorable... Je me rue vers les portes coulissantes quand le panneau Southwark apparaît à travers la vitre de la rame. Une fois sortie de la bouche de métro, je rassemble tous mes souvenirs pour ne pas me perdre en chemin. Heureusement, je n'ai pas trop de mal à me retrouver et la tour du Tate Modern se dresse bientôt devant moi. Dans la grande entrée du musée trône encore la maquette géante de la ville qui m'a tant hypnotisée la dernière fois, mais je n'y fais pas attention. Je me dirige vers les escalators, que j'enchaîne sans même compter les étages. Je sais que je dois aller tout en haut. Quand j'atteins le restaurant du neuvième étage, je suis immédiatement perturbée par l'ambiance, totalement différente de celle d'il y a quelques semaines. Alors que nous étions presque seuls la dernière fois, le restaurant est bondé, principalement de couples ou d'hommes en cravates probablement en plein rendez-vous professionnel. Je m'avance vers le maître d'hôtel pour lui demander de m'aider quand je le vois. Il est comme il me l'a raconté, assis sur un tabouret de bar, seul dans un coin, entre deux fenêtres. Tous les clients ont les yeux rivés sur le magnifique coucher de soleil qui se joue devant eux, mais lui garde la tête baissée vers sa table. Sa tête qui oscille en rythme avec sa main, m'indique qu'il est en train d'écrire. Je remercie rapidement le maître d'hôtel avant de foncer vers lui. Il n'y a pas de siège disponible à côté de lui, je me résous donc à rester dans son dos. J'inspire avant d'ouvrir la bouche comme pour répéter d'avance la scène qui va se jouer, quand il se retourne comme s'il sentait ma présence.
—Victoria... il souffle d'une voix rauque et les yeux écarquillés de surprise.
—C'est moi, je piétine, mal à l'aise, mon regard dirigé malgré moi vers le sol pour ne pas croiser ses prunelles sombres.
Je sens son regard me détailler des pieds à la tête. J'ai besoin de toutes les forces disponibles pour relever le menton et soutenir son regard. Je croise mes bras sur ma poitrine car je sais que je ne suis pas là pour une déclaration d'amour. Je suis là pour le confronter.
—J'ai besoin de savoir si c'est toi Heathcliff... je commente avant de m'arrêter en sentant les sanglots avaler mes mots.
J'ai un mouvement de recul, surprise de ma subite émotion, alors que j'ai été étrangement calme depuis que Edward m'a confié ses soupçons sur son frère.

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Call me Lady
RomanceVictoria quitte sa campagne irlandaise natale pour partir vivre à Londres où elle a été engagée comme journaliste dans un magasine très en vogue. Le premier dossier de Victoria est un article sur l'aristocratie britannique qu'elle doit dépeindre sou...