—Tu es sure que tu ne veux pas rester quelques jours de plus ? me demande ma sœur alors qu'elle immobilise sa voiture sur le parking de l'aéroport de Belfast.
—Je ne peux pas me cacher indéfiniment, je souris tristement en détachant ma ceinture, trois semaines c'était déjà beaucoup.
J'ai l'impression que c'est hier que j'ai débarqué dans mon Irlande natale, quand Mary est venue me chercher sur ce même parking, le visage ruisselant de larmes et les épaules voûtées. Elle m'a prise dans les bras puis m'a ouvert la porte de sa voiture sans me poser plus de question. Elle n'en a pas eu besoin, dès que je me suis assise sur le siège en vieux cuir, mes sanglots ont redoublé et j'ai tout déballé dans un langage approximatif. Heathcliff, l'article, mes mensonges, notre séparation dans la cour du Tate. Elle m'a écouté attentivement, sans même tourner la clé dans le contact puis m'a conduite jusqu'à la maison avec des mots rassurant, même si j'ai bien vu qu'elle retenait la plupart des critiques qui lui venaient à l'esprit.
—Tu sais que tu peux m'appeler pour le moindre problème ? elle m'assure en se tournant vers mon siège.
Je secoue frénétiquement la tête, plus pour qu'elle me laisse tranquille que pour lui dire que je l'appellerai.
Même si j'ai eu trois semaines pour digérer ce qu'il s'est passé et me préparer à un retour à un quotidien londonien plus calme —mais surtout sans Heathcliff—je ressens toujours ma peine me trouer l'estomac. J'ai en effet failli plusieurs fois retarder mon départ, voire même tout abandonner pour finir recluse dans la petite ville de mon enfance mais je me suis fait violence. Être journaliste à Londres est mon rêve et ce n'est pas une petite amourette d'été qui va me l'enlever. Malgré mon houleux article, je sais que je mérite mon poste, je mérite même la promotion de Hannah en salle de rédaction. Je me rassure en me persuadant que ces quelques semaines ont néanmoins réussi à anesthésier ma tristesse. J'ai assisté à l'anniversaire de mon neveu et au départ de Seb pour les Etats-Unis. Nous avons tous beaucoup pleurer, de joie pour la plupart de mes proches, mais moi, j'étais surtout dévastée de voir s'éloigner une personne de plus.
Dans le hall d'embarquement, tous les voyageurs ont un sourire radieux sur le visage, excités pour la plupart de se rendre à Londres. Je m'assois le plus loin possible d'une classe de collégiens qui hurlent sur les monuments qu'ils vont visiter puis je sors mon smartphone de ma poche. Je souris tristement devant le message d'encouragement de mon père, qui n'était lui aussi pas enchanté de me voir partir si vite. Je lui réponds rapidement avant de démarrer ma playlist anti-déprime. Je farfouille dans mon sac à la recherche de mes écouteurs quand mes doigts effleurent une surface rugueuse. Je fronce les sourcils en dégageant un énième carnet de Heathcliff, mais ce n'est pas celui que Cassandra m'a donné. Je reconnais la couverture crème qu'il a refermée avant notre dernière discussion au Tate moderne. Je tourne l'objet entre mes doigts, pensive. Il a dû le glisser là quand nous étions dans l'ascenseur. Je brûle de l'ouvrir, mais je sais que c'est une mauvaise idée. Je ne suis pas prête, l'histoire n'est pas assez cicatrisée pour pouvoir lire ses mots sans flancher. Et je n'ai pas envie de faire le trajet une fois de plus en sanglots. Heureusement, une voix féminine invite les passagers de mon vol à embarquer, je me lève d'un bond pour me précipiter vers la porte après avoir enterré le carnet bien au fond de mon sac.
Le trajet passe étonnamment rapidement. Je dois me forcer pour ne pas penser à des sujets tels que Heathcliff, UNITY BRITAIN, le mariage et en fait tout ce qui touche à ma vie londonienne d'avant. Je réalise à quel point je fais de la peine quand les silhouettes déassorties de Sara et Thomas m'attendent à l'aéroport.—Qu'est-ce que vous faites là ? je demande, perdue alors que je traîne ma valise dans leur direction.
―On était trop impatient de te voir ! s'exclame joyeusement Sara, même si ses yeux trahissent une certaine inquiétude.
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Call me Lady
RomanceVictoria quitte sa campagne irlandaise natale pour partir vivre à Londres où elle a été engagée comme journaliste dans un magasine très en vogue. Le premier dossier de Victoria est un article sur l'aristocratie britannique qu'elle doit dépeindre sou...