« C'est pour bientôt, selon vous ? demanda Mobius, inquiet.
— Généralement, les hostilités commencent à la mi-journée. »
Mobius soupira.
De la table voisine, un homme lui avait répondu. Sa voix calme et polie aux accents mélodieux avait surgi de derrière le profond dossier de son fauteuil, d'où on ne voyait dépasser qu'un ouvrage épais à la fine reliure de cuir. Les deux voyageurs attendaient patiemment depuis plus d'une heure, attablés non loin l'un de l'autre. Aucun n'avait pris le temps d'entamer une quelconque discussion. L'intimité du salon y était pourtant propice ; le mobilier confortable s'accordait à merveille aux boiseries et aux tapisseries éclairées par la douce lueur des lampes à huile. Quelques tableaux évoquaient de vastes et fantastiques paysages qui conduisaient volontiers les curieux à s'y plonger. Dans un coin, on avait pris soin d'aménager un bar où chantaient les bouteilles d'alcools au rythme des timides allées et venues. Pour le plus grand plaisir des fumeurs et des chiqueurs, des tabacs de diverses provenances y sommeillaient, juste à côté de verres aux formes alambiquées.
Mobius, lui, ne se souciait pas de ces distractions.
Depuis le début du voyage, il n'avait pas cessé de gesticuler. Enfoui derrière les accoudoirs qui s'élevaient comme de larges remparts, il avait évalué la meilleure position à adopter en de pareilles circonstances, mais aucune ne convenait vraiment. Ses yeux avaient longuement fixé ses propres genoux où reposait une élégante redingote. Puis, il avait osé scruter les lattes du parquet, les arabesques des tapis délicatement tissés, jusqu'à se perdre dans la brume qu'on apercevait derrière les larges hublots qui ponctuaient les parois du salon. Bercé par le lointain bourdonnement d'une hélice, il avait cloisonné ses pensées dans une bulle étanche à toute intervention et y avait ressassé le déroulement redouté des moments à venir jusqu'à ce que de les turbulences qui secouaient régulièrement les lustres finissent par le tirer de son état léthargique, par lui délier la langue.
Mobius sortit sa vieille montre à gousset de l'intérieur de son gilet.
« Encore une bonne heure, souffla-t-il. C'est votre première participation ? »
L'autre referma son livre dans un claquement sourd. Il pivota sur son fauteuil. Un chapeau melon siégeait sur sa tête.
« Oui, évidemment, s'étonna-t-il en relevant ses minuscules lunettes rondes. Vos prédécesseurs ne vous ont donné aucun conseil à ce sujet ?
— Pas vraiment ! Je représente Baladrek.
— Baladrek ! C'est une formidable nouvelle ! »
Il se pencha calmement en avant, la main tendue. Mobius s'empressa de suivre son geste et retira, par la même occasion, son haut-de-forme sous lequel se cachait une touffe blonde et informe. Face à lui, l'autre se découvrit à son tour. Il avait le crâne aussi lisse qu'un oeuf. Un sourire étrangement anguleux illuminait son visage. Cette jovialité mettait mal à l'aise le pauvre Mobius qui n'envisageait pas sa présence à bord comme une nouvelle formidable. Depuis l'annonce de sa participation à l'évènement, il avait développé une anxiété bien plus envahissante que les habituelles angoisses dont il souffrait déjà. Ses insomnies dessinaient de profondes cernes sous ses yeux et la confiance infinie que lui accordaient tous les habitants de son village lui rongeait les sangs. Il eut préféré qu'on n'attende rien de lui ; ses frèles épaules avaient déjà du mal à supporter sa propre vie.
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DAEHRA
FantasyMobius est terrorisé. Qui sont ces sombres créatures qui le poursuivent dans ses cauchemars ? Xenon, lui, est aux anges. De quelles nouvelles odeurs sera fait demain, puis après-demain ? Quant à Lhortie, elle est débordée. Qui lui a foutu des troup...