Chapitre 24 - Mirador

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Sur le point de tirer sa révérence, la nuit encerclait Lestocq et Mirador au sommet du Titan

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Sur le point de tirer sa révérence, la nuit encerclait Lestocq et Mirador au sommet du Titan. Juste au-dessus d'eux, la toile du Présage s'imprégnait des chauds rayons d'une lampe à huile et le vent fredonnait une mélodie métallique depuis les entrailles éventrées du ballon. Des câbles avaient été tirés dans toutes les directions. Ils plongeaient derrière le parapet, disparaissaient par les ouvertures du dernier étage et nouaient ainsi la chrysalide à sa branche, le vaisseau à la tour.

Tandis que, le képi sur les yeux, Lestocq somnolait, allongé dans les saxifrages et la mousse, Mirador scrutait le ciel à l'aide de sa longue vue. Le faite des arbres découpait le jour naissant. Le soleil tardait à réchauffer les rares nuages posés sur l'horizon, et plus haut - bien plus haut - les étoiles persistaient encore : rouges, vertes, mauves, blanches pour la plupart.

L'Enclave les nommait Lunes Brisées. Et lui, simple troupier, savait qu'il ne s'agissait pas d'étoiles. Il savait que sur ces terres - peut-être même au-delà -, personne n'en avait jamais observé. Car il l'avait lu, appris, presque compris. Pas comme tous ces soldats qui préféraient se vautrer dans leur crasse, sombrer dans le tabac, l'alcool et les femmes. Lui, il évitait le sang, les combats, les rixes quotidiennes entre frères d'armes et rien ne l'excitait plus que de flâner près des kiosques à journaux qui pullulaient dans les rues d'Egydön. Il s'y procurait « Rouages et Pistolets », une gazette scientifique qu'il ne comprenait qu'à moitié, mais dont les illustrations complexes le captivaient à chaque fois. Le troupier les comparait volontiers aux labyrinthes et aux grilles de mots fléchées imprimés en dernière page, à cela près qu'on ne lui livrait pas les solutions avec le numéro suivant. Ainsi, sa passion pour les schémas de toutes sortes le poussait à conserver les coupures les plus intéressantes dans les poches intérieures de sa veste. Il les ressortait parfois, lorsque l'occasion s'y prêtait : comment nettoyer son canon sans urine ? Comment relancer un moteur à vapeur avec les cigarettes du voisin ? Comment calculer sa position grâce aux Lunes Brisées ?

Il y avait tant de choses à découvrir.

Pour l'heure, il tenait sous le coude la double page centrale d'un exemplaire consacré à l'astronomie de l'Enclave. Le papier jauni souffrait de notes griffonnées au crayon ; Mirador s'y référait souvent lors de ses voyages. Il cherchait ainsi à se construire une nouvelle carte mentale, une nouvelle vision de ce monde si différent du sien. Ici, ce qu'on appelait vulgairement étoile n'avait rien à voir avec les points scintillants que tout le monde connaissait. Ces roches lointaines - puisqu'il s'agissait bien de formations rocheuses et cristallines - ne glissaient pas au rythme des saisons. Inégales et décomposées, elles semblaient collées sur le firmament. Leur surface se dorait au crépuscule et à l'aurore, luisait en pleine nuit et se fondait, en journée, derrière les nuages et les bleus célestes. Régulièrement, elles éclipsaient le soleil, mais jamais elles ne substituaient l'ombre à lumière ; les rayons traversaient les cristaux. Ils se teintaient aux couleurs de la lune et le monde se faisait monochrome.

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