Le cockpit affichait des allures de belvédère accidenté ; ses immenses baies vitrées offraient une vue époustouflante sur le vide, compromise par l'inclinaison du plancher qui tordait les lignes, pliait les genoux et jouait avec l'équilibre de chacun. En contrebas, arbres et arbustes esseulés se nichaient sur les rivages que les lames aquatiques soulignaient d'une blancheur uniforme. L'inquiétude avait chassé la sérénité des regards. Sur les verrières, brèches et fissures laissaient pénétrer les courants aériens. En vils diablotins, ils soulevaient les feuillets des mappemondes accrochées aux murs et secouaient les pages d'un énorme carnet de route posé sur le bureau des timoniers.
« Relâchez cet homme ! » ordonna sèchement Lhortie.
Au centre de la pièce, la barre de gouverne se dressait comme un barrage. Adossé aux baies, le protégé d'Apostasis la Morte se servait de Xenon comme d'un bouclier. Le lieutenant tenait son pistolet à bout de bras, inflexible. Deux troupiers se terraient dans son ombre. Tous s'épiaient, fébriles, dans cette terrible impasse, cette prise d'otage insensée qui suspendait le cours du temps alors qu'au même moment se jouait l'avenir du Présage et de ses occupants.
« Tout s'écroule ! lança Lhortie, désespérée.
— Vous n'avez toujours pas compris, n'est-ce pas ? » ironisa le preneur d'otage.
Xenon le sentit frémir d'un plaisir malsain.
« Vous n'avez toujours pas compris qui mène la danse ? »
Le lieutenant se crispa sur sa crosse.
. . .
« Vous n'avez toujours pas compris qui mène la danse ?
— Ils espèrent encore s'en sortir », entendit Mobius, en proie aux ténèbres.
Cette voix et ces pensées appartenaient à celui qui coordonnait les oiseaux.
« Nous aimerions que vous en finissiez rapidement, Enkidu ! »
Et cette deuxième voix, la même qui scandait l'antienne renonciatrice.
« Ils ne méritent pas une seconde d'attention ! » ajouta-t-elle.
L'intonation dédaigneuse s'abattait comme un couperet. Elle résonnait avec une phrase entendue par Mobius, un an auparavant, dans les souterrains d'Apostasis la Morte. L'image le hantait encore. Il revit le Calice étincelant se renverser au milieu des volutes de fumée, le néant qui habitait la coupe disperser ses espoirs, et ces mots acérés le réduire au silence : Il ne mérite pas une seconde d'attention ! Il n'y avait plus de doute possible ; cette voix appartenait à celui qui commandait aux Capites. Elle les traversait un à un et chacun parlait en son nom, chacun jouait de ses cordes vocales atrophiées pour en travestir les sons en un râle guttural. Pourtant, cette mascarade ne suffisait pas à en gommer les tics et le vocabulaire. Pour la première fois, Mobius avait le sentiment de toucher du doigt le mystère des Capites, d'atteindre cette vérité camouflée derrière leurs insondables bures. Une perte de l'identité au profit d'une communion éternelle disait la version officielle. Pourtant, la voix annonçait une tout autre nuance, puisque le délégué les découvrait pantins manipulés d'une seule main.
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DAEHRA
FantasyMobius est terrorisé. Qui sont ces sombres créatures qui le poursuivent dans ses cauchemars ? Xenon, lui, est aux anges. De quelles nouvelles odeurs sera fait demain, puis après-demain ? Quant à Lhortie, elle est débordée. Qui lui a foutu des troup...