« Marchez vers l'ouest. Longez la côte ! » entendit Mobius.
La voix qui commandait aux Capites s'adressait au Marionnettiste.
« Les méthodes d'accueil ne sont plus ce qu'elles étaient ! grommela Enkidu.
— Quittez donc cette forêt, nous vous guiderons vers une entrée !
— Je n'ai pas besoin de guide. Je meurs de faim...
— C'est pour cette raison que vous vous éloignez de l'objectif ?
— La seule créature qui a daigné me nourrir ne m'a pas rassasié...
— Elle ne vous a peut-être pas rassasié, mais elle vous a couvert ! »
Une fourrure fraîchement arrachée dissimulait ses épaules.
« J'avais un délicieux Chitine à portée de main, là-haut. Je l'ai laissé filer...
— À l'heure qu'il est, il nage avec tous les autres : dans l'Espérance. »
Une pulsation explosa dans sa poitrine. Sa langue se fit pâteuse.
« Leur chair est si tendre... saliva Enkidu.
— Le Maître vous offrira une Gyne, si vous accélérez le pas !
— Je ne suis pas son pion. Je me servirai moi-même... »
Un râle s'éleva de derrière un buisson.
« La Gyne attendra, lança Enkidu. Le voilà mon repas !
— Un survivant du Présage, pensez-vous ?
— Si c'est le cas, il n'en sera que meilleur : sa chute aura attendri la viande. »
Un halo verdâtre habillait la nuit ; l'obscurité n'avait pas d'emprise sur cette rétine qui accueillait la lueur nocturne comme celle d'un millier de soleils. Allongé dans les fougères, un troupier se tordait de douleur. Malgré la blessure qui fissurait son crâne, Mobius le reconnut. Il l'avait croisé dans les étroits couloirs du dirigeable. C'était un Manticore, tout comme lui. Et tout comme lui, l'homme avait glissé hors de l'appareil. Le pauvre soldat se régénérait à peine. Ses trois bras rompus grattaient désespérément l'humus. Son corps se battait pour revenir parmi les vivants.
« À défaut d'un Chitine, s'amusa Enkidu, un congénère devrait suffire... »
Le monstre affamé se pencha sur sa proie. Il la contempla longuement - presque amoureusement. Il attendit que les yeux mornes rencontrent les siens. Puis, il posa une main sur cette gorge tordue par l'accident, d'où coulaient encore de sombres liquides, y plongea ses doigts et perça la peau qui céda comme du papier. Les cordes vocales se noyèrent de gargarismes glaçants. L'homme se délecta des mouvements du Col Rouge, de cette défense malhabile, de cette danse hypnotisante dont seuls sont capables, pendant leurs dernières secondes, les êtres qui se tiennent sur le fil, ceux qui basculent vers une mort inéluctable.
La bouche tuméfiée implora d'arrêter. Les sangs fusionnèrent.
Le plus puissant des deux Manticores étendait son emprise sur le domaine du plus faible, sur son intimité, son individualité. Le premier ne cherchait pas à guérir le second, il cherchait à l'assimiler. Tout se déroula à une vitesse telle que Mobius en étouffa ses pensées. Il assistait à l'interdit - bien malgré lui - au sacrifice total d'une vie pour une autre. Il goûtait à ces horribles sensations, ce partage qui devenait un vol, ce vol qui devenait un meurtre. Les souvenirs du soldat affluèrent, vifs et disparates. Il s'appelait Pinçon. Il aimait bien des choses, mais ce qu'il préférait, c'était la cogne, les greffes et la soupe au poulet. Il avait orchestré l'assassinat du délégué d'Apostasis la Morte pour son simple plaisir. Il espérait cracher un jour au visage d'Alice Lhortie car il n'appréciait pas qu'elle le prenne de haut, lui qui mesurait plus d'un mètre quatre-vingt-dix. Il n'avait pas pris un grade en huit ans de services. En cinq ans seulement, cette Humaine avait gravi les échelons.
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DAEHRA
FantasyMobius est terrorisé. Qui sont ces sombres créatures qui le poursuivent dans ses cauchemars ? Xenon, lui, est aux anges. De quelles nouvelles odeurs sera fait demain, puis après-demain ? Quant à Lhortie, elle est débordée. Qui lui a foutu des troup...