Mobius est terrorisé.
Qui sont ces sombres créatures qui le poursuivent dans ses cauchemars ?
Xenon, lui, est aux anges.
De quelles nouvelles odeurs sera fait demain, puis après-demain ?
Quant à Lhortie, elle est débordée.
Qui lui a foutu des troup...
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La Baie des Titans s'imprimait sur toutes les cartes, croquée à la volée par des artistes paresseux : une iconographie réductrice noyée de vagues rondelettes où quelques aiguillons perçaient des eaux parcheminées. À la simple évocation de son nom, ses paysages envahissaient les esprits — chacun se l'imaginait à sa façon —, mais jamais ils ne perduraient au cœur des discussions, jamais ils ne s'approchaient de l'inaltérable beauté des singulières structures rectilignes qui sortaient de l'océan. Ces pics vertigineux, campés profondément sous les récifs, méritaient pourtant qu'on s'y attarde ; la morsure du temps n'y avait pas d'emprise. Les lustres, les décennies, les siècles filaient sans que la rigidité ne ploie, sans que les angles ne soient corrompus, sans même que les roulis ou les vents n'écaillent la roche sombre. Bien plus nombreux que ne le laissaient penser les représentations, les pylônes cyclopéens s'égrenaient sur le plat horizon, s'ordonnaient en îlot, cinq par cinq, se chaussaient d'algues lamellaires, un voile qui s'étirait au grès des courants et occultait les strates aquatiques inférieures.
À la cime, la végétation s'organisait en vierges jardins. Un tapis blanc de saxifrages étoilées habillait la pierre d'ébène, courait entre les buissons enracinés sur la fine couche d'humus, se piquetait par endroit de graminées touffues. Les plantes ondoyaient sous les alizés. Les bourrasques balayaient la moindre verdure qui osait s'imposer, transportaient les pollens d'une roche à l'autre et, ainsi, perpétuaient le cycle d'une vie haut perchée. Sur les parois verticales, des cavités polyédriques se voyaient colonisées par des oiseaux de toutes tailles. Abritées derrière les larges fenêtres, les nichées s'enchantaient de piaillements qui, en ce jour, laissaient place au silence ; un nouveau locataire perturbait l'harmonie sauvage. Le ballon du Présage 101 reposait en équilibre au sommet, sa nacelle tout contre la structure.
Broyé par les chocs, rafistolé à la va-vite, le vaisseau ne flottait plus ; il entrait en léthargie. Sa toile déchirée dévoilait ses entrailles tordues, ses passerelles internes racornies et ses longerons bardés de câbles traînants. La bête s'animait encore de quelques soubresauts. Elle tanguait, elle grinçait, elle chuintait. Sous son ventre, la tôle n'avait pas supporté les déformations. Les murs des quartiers d'habitation souffraient de terribles pliures et de hublots brisés.
L'équipage avait réussi l'impossible : relâcher les gaz sustentateurs, se laisser dériver, perdre de l'altitude, puis guider tant bien que mal l'aérostat boiteux jusqu'aux Titans. Ils s'étaient accrochés à cette seule chance de salut. Alors, lorsque la carcasse avait rencontré la roche, tous avaient prié que le choc suffise à les ralentir, à les arrêter, à les sauver. Il s'en était fallu de peu pour qu'ils s'abiment ; le Présage avait stopper sa course à temps.
Pendant de longues minutes, on n'avait pas osé bouger d'un pouce, on s'était regardé, blafard, tremblant, vivant. Puis on s'était décidé à quitter le vaisseau avant qu'une puissance aérienne ne le repousse et n'écarte avec lui les derniers espoirs de sécurité. On avait pris tout son courage, tiré des ponts de singe pour évacuer les blessés jusqu'à ces étranges fenêtres qui jalonnaient les pics de haut en bas.