Mobius est terrorisé.
Qui sont ces sombres créatures qui le poursuivent dans ses cauchemars ?
Xenon, lui, est aux anges.
De quelles nouvelles odeurs sera fait demain, puis après-demain ?
Quant à Lhortie, elle est débordée.
Qui lui a foutu des troup...
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2,5-Diméthyl-Pyrazine – celui qu'on surnommait Xenon – referma son livre avec précaution. Le délégué de Baladrek, accompagné d'un troupier et du Lieuntenant Lhortie, venaient de traverser les rideaux menant aux cabines des nouveaux arrivants. Ces trois-là avaient laissé le Chitine seul au milieu du salon. Pour lui, ça n'avait pas d'importance. Il aimait ces moments de calme. Il y trouvait toujours de quoi s'occuper. L'attente ouvrait des pespectives inattendues. C'est ainsi que Xenon, toujours installé dans son fauteuil, en vint à s'intéresser à son chapeau melon. Ce minuscule morceau de lui-même, cette masse inerte de feutre noir, scintillait par endroit. Les rayons du soleil que filtraient les hublots s'y réverbéraient et y soulignaient quelques traces d'usure. Son fidèle couvre-chef un peu défraîchi n'avait pourtant pas perdu toute sa superbe. Le Chitine en prenait grand soin. Il le rangeait tous les soirs dans sa boîte en carton et il éprouvait envers lui un attachement qui dépassait l'entendement humain, un attachement qui le replongeait un an en arrière, lorsqu'on lui avait fait découvrir la civilisation, lorsque Pentagua, la Cinquième Colonie, l'avait accepté dans ses rangs. Depuis, il refusait de s'en séparer, redoutant par la même occasion de perdre une partie de lui-même, une partie de son histoire. Ce n'était pourtant qu'un objet sans âme, mais cet objet, il l'avait porté jour après jour, il l'avait chéri. L'abandonner pour la fade odeur de la nouveauté le répugnait. Un chapeau neuf ce n'était qu'un grand vide de sentiment, un manque total de repère, un mélange effrayant d'arômes étrangers, brouillés et aseptisés.
Le Chitine huma l'air ambiant.
Contrairement aux vêtements qu'on lavait pour en atténuer les émanations personnelles, le chapeau irradiait littéralement des phéromones de son propriétaire. Xenon possédait la capacité d'en capter les effluves et comprenait d'instinct leurs significations invisibles aux yeux de ceux qu'il nommait les peaux molles. Ainsi, chaque parcelle du tissu sentait son nom.
« 2,5-Diméthyl-Pyrazine », murmura le Chitine
Puis, iI ferma les yeux en soupirant.
« Cela fait bien longtemps que tu n'es plus. »
Désormais, malgré les résidus de son soi passé qui lui titillaient encore les sens, se définir ainsi ne lui était plus d'aucune utilité. Son admission à Pentagua avait tout changé ; la Gyne, sa nouvelle reine, l'avait rebaptisé Xenon-9834 lors de la cérémonie d'Intronisation. D'un langoureux baiser, elle avait pressé ses mandibules contre sa fine bouche. Honoré, il s'était laissé faire. Il avait senti son corps muter, ses cellules se battre puis doucement s'abandonner au changement, à la supériorité naturelle de l'influence royale. À travers cet échange de flux, elle lui avait transmis sa nouvelle marque, sa nouvelle peau. Elle avait noyé son identité dans une marée de phéromones divines, puis elle avait relâché son étreinte. C'était à cet instant qu'il avait pu inhaler son nouveau nom, acidulé et pétillant, mêlé désormais à celui de sa reine, suave et mystique, imprégnant chaque partie de son corps, chaque recoin de sa cuticule. Elle lui avait par la suite ordonné d'accepter l'Enclave, d'accepter ce qu'elle offrait aux nouveaux arrivants. Il s'était agenouillé, sans discuter. Depuis, il louait sa grandeur, il l'appelait Gyne, fille de la déesse Pertama l'Unique, Reine de toutes les reines, Mère de toutes les mères, Génitrice de tous les Chitines. Il aimait se remémorer ce moment ultime, cet instant magique, et se laisser porter par les souvenirs, jusqu'à la seconde où les murmures lointains de la réalité le rappelaient à l'ordre, l'extirpaient de ses fragiles rêveries.