Chapitre 22 - Yalthia (Partie 1)

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Peu après sa chute, peu après son retour, Yalthia scrutait la pénombre

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Peu après sa chute, peu après son retour, Yalthia scrutait la pénombre.

L'éclat serein des étoiles perçait à travers les feuillages épars de la canopée. Les cieux charbonneux se criblaient de points colorés et cryptiques ; le colosse n'arrivait plus à s'orienter. Son père lui avait pourtant tout appris. Il se souvenait de l'astrolabe conservé dans l'un des tiroirs de sa malle. Le vieil homme s'y référait souvent lors de leurs voyages. Il lui expliquait que le soleil tombe toujours à l'est, que la trame céleste glisse au rythme des saisons, que les lueurs changeantes apportent leurs précieux conseils à ceux qui savent les déchiffrer. Yalthia en connaissait les lignes. Il les avait tracées du doigt dans les sables brûlants jusque dans les neiges éternelles - partout où son père l'avait entraîné -, mais en ce jour, il n'en distinguait plus les canevas.

Alors, à défaut de comprendre, il avait choisi un point rouge parmi les astres bleutés, un point posé sur l'horizon aquatique. Il l'avait gardé bien en vue entre les arbres qui longeaient la clairière. Sur son chemin, tout lui parut étranger. L'atmosphère pesait sur une végétation de fougères et de buissons touffus. Elle se chargeait de mystérieuses odeurs et d'ululations distordues qui abondaient depuis les hauteurs. D'invisibles spectateurs attendaient l'instant parfait pour fondre sur cette proie nouvelle, ce morceau de choix qui errait aux abords de leur territoire. Yalthia n'y pensait pas. Il n'éprouvait pas la peur. Seule sa propre faim l'obsédait, elle guidait ses pas. Il savait qu'il trouverait de quoi la museler au cœur de cette forêt.

Chasse ou cueillette, ça n'avait pas d'importance.

Lorsqu'une plainte lointaine déchira la nuit, le Sappir se décida à s'aventurer dans sa direction. Il avança à tâtons, ignora les ronces qui lui piquaient les pieds, écarta les branchages qui griffaient son torse nu. Il avait rabattu le haut de sa tunique : elle lui tombait sur les fesses. À quelques foulées de là, il se terra derrière un tronc renversé. De l'autre côté, aussi corpulente que lui, une créature agonisait, allongée sur le flanc. Un vagissement guttural s'échappait de sa gueule fatiguée. Elle suffoquait. Sa cage thoracique se gonflait faiblement. De larges et inexplicables blessures lacéraient son épaisse fourrure imbibée de sang noir.

Yalthia approcha, s'accroupit et déposa ses doigts sur la croupe. La bête ne protesta pas ; elle n'en avait plus l'énergie. Sur sa cuisse, de minuscules morsures témoignaient d'un acte odieux. Quelque chose s'était à peine nourri de la chair et cette même chose avait laissé sa proie à l'article d'une mort lente et douloureuse. Aucun prédateur n'agissait ainsi en bafouant la vie, pas à sa connaissance.

« Un chasseur d'Ouräth, par contre... » songea-t-il.

Sous la clarté des étoiles, le colosse grinça des dents. Son propre reflet scintillait dans les grands yeux noirs qui le contemplaient. Les naseaux tremblaient, soufflaient, pleuraient. Il ne pouvait abandonner l'animal à son triste sort. Alors, il se pencha vers l'encolure - il lui sembla qu'elle s'offrait. D'un bras musculeux, il la ceintura, puis la brisa sans une hésitation. Un soubresaut secoua l'animal. Le corps se détendit ; le Sappir l'avait libéré.

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