Le délégué avait rejoint la pièce adjacente où les mousses gonflées d'humidité s'imprégnaient des lueurs matinales. L'aurore rassurait le Chitine. Elle lui rappelait à quel point les ténèbres n'étaient pas éternelles, à quel point, malgré le déracinement qui impactait tous les nouveaux arrivants, il suffisait d'un peu de chaleur pour se revigorer, pour se sentir chez soi. Une fenêtre laissait entrer le jour naissant. Elle s'imposait comme un tableau esseulé, un tableau vivant où l'horizon rosé se fondait dans les flots. Xenon s'en approcha, mains tendues. Cette peinture naturelle le touchait profondément, mais ses doigts ne pouvaient s'y poser. Il aurait tant voulu les tremper dans l'eau ; se saisir d'un nuage ; retenir le soleil avant que la nuit tombe. Un vent chaud et iodé lui fouettait le visage. Les bourrasques repoussaient l'inépuisable monologue du médecin, elles le contenaient dans ce cloaque obscur en compagnie du cadavre, et malgré leur puissance, quelques phrases couvraient encore la distance : les plus aiguës, les plus enthousiastes, celles que Xenon attribuait plus volontiers à la folie qu'à la joie.
« Vous ne devinerez jamais... » s'enflammait Luther.
Xenon tenta de l'ignorer ; l'autre se cherchait toujours un public.
« C'est un cube et il vibre. Il vibre quand on le tient ! »
Le Chitine voulut jeter un œil - juste un minuscule coup d'œil.
« Je l'ai trouvé dans ses intestins, lança Luther, vous vous rendez compte ? »
À l'évocation des viscères, Xenon s'imagina l'enfant en charpie ; sa curiosité s'étouffa dans l'œuf. Pendant un instant, il lui sembla que le ciel s'assombrissait, que les paysages chatoyants se faisaient plus ternes, mais il comprit bien vite qu'il frôlait le malaise. La faim, les visions d'horreur, les délires du médecin lui montaient à la tête. Le Chitine reconnaissait cet attachement étranger que la majeure partie des créatures éprouvaient envers leur progéniture. Ce sentiment, il l'accueillait dans sa chair comme tous les Parleurs conditionnés à servir l'Enclave, comme tous ces diplomates à la sensibilité hybride, plus proches des peaux molles en substance que les peaux molles d'eux-mêmes. Des enfants - parfois des nourrissons -, il en arrivait très peu à la Griffe Noire. Dès lors, ceux qui s'avéraient viables constituaient une ressource inestimable aux yeux de leurs semblables. L'âge tendre avait la souplesse de la glaise. On pouvait lui modeler l'esprit à volonté, le contraindre aux aléas de ce nouveau monde. Il ne se brisait pas. Il s'adaptait toujours.
« Oooh ! » s'extasia soudain Luther.
Xenon frissonna comme frissonnent les Chitines : tout en immobilité.
« Ils lui ont ôté l'appareil génit... »
Avant que la phrase ne termine sa route, le délégué se boucha les oreilles et, en une fraction de seconde, l'apaisement s'installa. Xenon sentit la cuticule de sa paume grincer contre ses tempes, le vent ronronner dans l'interstice, ses muscles relâcher ses épaules. Il avait trouvé l'isolement parfait. Bien sûr, il aurait pu partir, fuir cette pollution sonore, rejoindre l'étage supérieur et y dénicher de quoi calmer son estomac, mais la sérénité qui l'envahit alors le paralysa d'extase : oubliés le corps, le sang, les accidents ! À présent, le Chitine s'abîmait dans la contemplation du soleil ; l'astre avait rejoint une Lune Brisée et, pour rien au monde, Xenon ne voulait rater cet instant mirifique. Pour rien au monde, il ne voulait libérer l'étreinte de ses mains, l'étau qui maintenait ce rêve en place.
VOUS LISEZ
DAEHRA
FantasyMobius est terrorisé. Qui sont ces sombres créatures qui le poursuivent dans ses cauchemars ? Xenon, lui, est aux anges. De quelles nouvelles odeurs sera fait demain, puis après-demain ? Quant à Lhortie, elle est débordée. Qui lui a foutu des troup...