Mobius est terrorisé.
Qui sont ces sombres créatures qui le poursuivent dans ses cauchemars ?
Xenon, lui, est aux anges.
De quelles nouvelles odeurs sera fait demain, puis après-demain ?
Quant à Lhortie, elle est débordée.
Qui lui a foutu des troup...
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« Bouge ton croupion, mon filou ! »
Strax leva la tête. Une forme rondouillarde s'adressait à lui dans la pénombre.
« Le Père t'attend pour décrotter l'cul des moutons !
— La Mère ? C'est vraiment toi ? » s'étonna le Col Rouge en se grattant la nuque.
Le jour filtrait à travers les planches d'une baraque.
« Qui qu'tu veux qu'je sois, mon filou ? T'reconnais même plus ta mimoune ? »
Difficile à dire, même si cette chose en détenait néanmoins le langage.
« Qu'est-ce... que tu fous ici, la Mère ? s'étrangla Strax.
— J'viens t'botter l'derrière ! »
Allongé dans la paille, le troupier se frotta les paupières. Ses muscles engourdis lui arrachèrent des grimaces ; son visage imberbe, son corps juvénile, ses cheveux en bataille : il palpa l'ensemble comme s'il ne lui appartenait pas. Il était bien ici, pas ailleurs, pas là-bas dans cette tour sordide et humide qu'il ne pensait jamais quitter.
Comme pour s'assurer de son retour véritable, il observa ses mains à la lueur d'un rayon qui perçait la toiture : sa peau possédait la souplesse inattendue d'une lointaine jeunesse, celle des garçons de ferme qui piquent des roupillons à l'abri des regards plutôt que de s'user les paluches à travailler la terre. Sur ses phalanges, il ne vit pas un poil. Un duvet y siégeait à la place - ou peut-être était-ce l'inverse ? Peut-être était-ce les poils qui les remplaceraient plus tard, lorsqu'il serait adulte. Adulte ? Était-il possible de retourner le temps comme on retourne un sablier ? Et comment savait-il pour les poils, d'ailleurs ? Comment savait-il qu'ils pousseraient s'il était revenu chez lui, des années en arrière, dans la ferme du Père ?
« Bon ! Qu'est-ce que tu ramones-là ? Tu m'suis, mon filou ? » éructa La Mère.
Elle ouvrit la porte qui libéra un océan de lumière éblouissante.
« Strax! Bouge ton croupion, entendit le Col Rouge.
— Lève-toi ! Et suis-moi ! insista la forme rondouillarde.
— Qu'est-ce t'attends, elles vont t'sucer le cerveau! »
. . .
Mirador tirait sur le bras droit de Strax.
« Te sucer le cerveau ? T'y va pas un peu fort ? »
Lestocq tirait sur le bras gauche.
« Faut bien l'réveiller, ce gonze. Y a pas d'méthode douce qui tienne ! »
Tous les deux tentaient d'extraire leur camarade, empêtré jusqu'aux cuisses dans les algues qui avaient envahi la pièce alors que les troupiers ronflaient encore. L'effluve charrié par les végétaux n'avait alerté personne : on s'était habitué à l'acidité qui stagnait dans le ballon du Présage et qui arrachait des larmes lorsqu'on y traînait trop, aux chaussures gorgées de transpiration qui se vautraient dans les dortoirs et qui imprégnaient la literie en l'espace d'une nuit, et même aux parfums, prévus pour dézinguer les odeurs d'aisselle, si puissants qu'ils changeaient l'air en pâté aromatisé girofle, jasmin, muguet. Ces algues mouvantes, c'était le rang au-dessus, l'étape d'après, la puanteur incarnée. Pourtant, elles n'avaient pas la force de réveiller un soldat entraîné à la sieste en tout lieu et en toute circonstance.