PDV Kanako
Je m'attarde sur mon trait en tentant de faire naître avec la ligne de mon crayon ce que j'imagine dans mon esprit. Je le visualise, sans non plus m'y focaliser. William me l'a répété plus d'une fois : l'art ne vient pas de l'esprit, mais du cœur. Une leçon plus que dure à mettre en application lorsque rien ne nous destinait à cet art en particulier. J'ai encore largement besoin de mon esprit pour me souvenir des dizaines, voire centaines de conseils qu'il a pu me donner. Conseils ? Peut-être consignes, à vrai dire.
Quand je jette un regard à l'ensemble, je grogne intérieurement, avant d'arracher la feuille de mon pupitre. Pourquoi est-ce que cela me paraît impossible, aujourd'hui ? Et hier ? Ainsi que tout le week-end, juste avant ?
Et surtout, pourquoi est-ce que William n'est pas là, bordel ?
Je ne pensais pas l'avoir à l'esprit un jour, mais le fait qu'il ait passé le week-end sans m'envoyer mille messages pour savoir où j'en étais dans mes devoirs m'a perturbé. Un peu trop, d'ailleurs. Autant que le fait qu'il ait été absent en cours ces deux derniers jours. J'aurai dû en profiter pour souffler, mais étrangement, j'ai plus été dérangée qu'autre chose.
Plus d'une fois, j'ai pris mon téléphone et hésité à le contacter. Mais je n'ai pas l'impression d'être légitime à lui demander des comptes. Je le suis sûrement, pourtant, vu que nous avons deux projets cruciaux à réaliser ensemble.
Lewis et Arwen ont abandonné l'idée de me tirer un sourire quand j'ai déchiré mon dix-septième échec de la journée. De l'heure. Je n'ai pas réussi à maintenir le compte depuis hier.
Comment je peux trouver cela moins agréable de dessiner dans le calme plutôt que sondée par un William ronchon dans mon dos ? Peut-être parce que je n'ai jamais rien connu d'autre.
Je tapote mon crayon contre le pupitre pour me retenir de mettre mon idée en application. Pourtant, je sais que c'est peine perdue, et que d'un moment à l'autre, je vais quitter cette pièce à la recherche de réponse. C'est-à-dire à la recherche de Natt, qui pour une raison étrange a été aussi peu visible dans mon environnement que son cousin ces derniers jours. D'habitude au contraire, c'est plutôt une constante, de le voir débarquer et crier mon nom.
Un autre fait qui me trotte dans la tête et me laisse supposer que l'absence de William et son silence ne sont pas liés à une grippe fulgurante.
Il se passe quelque chose de suffisamment important pour que l'un s'absente et l'autre se renferme sur lui-même. De quoi renforcer ma sensation d'illégitimité à poser des questions, questions que je vais de toute façon finir par poser. Je suis incapable de résister quand j'ai une idée en tête, qu'elle soit bonne ou mauvaise. Je tiens largement cela d'Obaachan. Je préfère me dire que c'est de la faute des gênes, chaque défaut de ma personnalité.
C'est lorsque je regarde mon futur dix-neuvième raté que je décide de mettre mon excellente et surtout entêtante idée à exécution. Lewis me regarde débouler hors de la salle à une vitesse déconcertante avec de grands yeux. Je ne mets pas longtemps à parcourir les couloirs de l'aile sculpture que je connais sans mal tant celui que je cherche me les a fait visiter. Le moindre recoin, pour dire vrai.
Je l'aperçois dans un coin d'un espèce de hall, et je sais qu'il n'a pas manqué mon arrivée. Pourtant, je le vois pivoter sur lui-même et s'enfoncer dans un couloir, à l'opposé d'où je me trouve. Si je pouvais, je hurlerais son prénom, mais je ne peux que me contenter d'accélérer le pas pour le rattraper sans me mettre à courir.
Son dos apparaît devant moi, et le lieu est suffisamment vide pour que je me risque à une chose folle : lui balancer mon crayon. Il s'arrête, conscient qu'il ne peut pas faire mine de ne pas l'avoir senti, et attend que je le rejoigne. Il ne tente même pas le fameux « tiens, je ne t'avais pas vu », tant il sait que ce serait ridicule.
VOUS LISEZ
Amour Muet - Aime-Moi Tome 2
RomanceKanako a mal. Toute sa vie, elle n'a trouvé qu'une seule façon d'exprimer ses émotions avec toute la force dont elles avaient besoin. Chanter. Plus naturel que de parler, pour elle. Ce n'était pas juste une passion. Mais un art de vivre. Une manièr...