PDV Kanako
Un bois sombre, massif, presque froid au premier abord s'étend sous mes yeux. Pourtant, il semble chaleureux, lorsque l'on observe les gravures qui le décorent. Des représentations de feuilles, de lierres grimpants, des milliers de motifs floraux. C'est majestueux.
Autant que le haut couloir qu'elle vient terminer, blanc, avec ses moulures et ses lustres d'une autre époque.
Ici, c'est comme être dans un château, transporté à l'époque des rois et reines, plein de fastes et de richesses.
Combien de fois ai-je admiré cette porte ? Ces décors d'apparat ? Je ne saurais le dire. Je peux en revanche exprimer parfaitement à quel point j'ai toujours été impressionnée par cet endroit. Chaque jour, comme si c'était la première fois.
J'ai passé 7 années entières de ma vie, ici. 7 années merveilleuses dont je me rappelle chaque instant. Les décors de ces couloirs n'ont plus aucun secret pour moi. Je faisais autant partie qu'eux de l'espace. Mais plus maintenant.
La première fois que j'ai vu cette double porte, majestueuse, je me souviens avoir senti mon cœur se gonfler de joie. Je venais d'être acceptée dans cette école de renom. La National School of Arts. Une rêve de petite fille. Je me suis avancée dans ce couloir des étoiles plein les yeux, un sourire immense aux lèvres. Tout me paraissait grandiose. Les lustres étincellants brillaient sûrement moins que mon regard.
Je me délectais de chaque minute. De chaque son, vision, odeur. Le parquet chevron craquant sous mes chaussures. L'odeur si particulière de rose diffusée par les milliers de bouquets déposés dans tout le bâtiment. La beauté des statues ornant les niches des couloirs. La douceur des tapisseries de soie.
Tout était, tout est fringuant, classieux. Rien à voir avec mon quotidien. Pourtant, je m'y sentais bien. A ma place.
C'était comme découvrir le pays imaginaire, celui dont on rêve durant ses premières années. Je devenais Alice, aux Pays des merveilles. Cet endroit était ma merveille. Je voudrais qu'il le soit encore.
Que me tenir devant cette porte ne me fasse pas si peur. Que cette boule au ventre qui me tiraille de l'intérieur disparaisse. Maintenant que je me tiens là, dans ce couloir, je ne me sens plus à ma place.
Mon regard est attiré par l'extérieur. Je m'avance vers les grandes baies et passe mes yeux pendant un instant sur les splendides jardins qui s'entendent devant moi. Et puis je les pose sur eux. Sur ces personnes auprès de qui j'ai grandi. Je les regarde rire. Parler. Chanter. Rien que je ne puisse faire à présent.
Les étudiants de la section chant sortent du réfectoire pour se prélasser au soleil durant l'après-midi. Ils ont dû arriver à l'internat hier soir, pour le début des cours qui se tient demain. Quelques heures de libre avant qu'une nouvelle année, la dernière ne débute.
Mais comme toujours, malgré le temps qu'il leurs reste avant d'avoir à étudier, ils chantent. Ensemble. Ils se rassemblent, à l'ombre de ce chêne magnifique. L'un d'eux sort une guitare, les autres tapent dans leurs mains. Leurs voix se mélangent, trouvant toujours l'harmonie qu'ils cherchent à atteindre. Ils se complètent tous. Dans ces instants, pas de compétition. Seulement de la cohésion. Comme une famille.
Avant, je me tenais avec eux. Maintenant, cette vitre nous sépare. Ainsi qu'un gouffre bien plus profond que rien ne saurai jamais combler.
Ma main passe inconsciemment sur ma gorge, et je retiens une larme de rouler sur ma joue. Se prendre la réalité en pleine gueule est une épreuve à laquelle j'ai du mal à faire face. Ce n'est pas la première fois. Pas la dernière. Mais c'est toujours aussi douloureux. Tout ça à cause de l'erreur d'un homme. Une vie qu'il a brisé de part son incompétence. Et plusieurs mois plus tard, il continue de détruite à petit feu tout ce qui avait de l'intérêt pour moi. Tout ce qui m'était absolument nécessaire pour vivre.
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Amour Muet - Aime-Moi Tome 2
RomanceKanako a mal. Toute sa vie, elle n'a trouvé qu'une seule façon d'exprimer ses émotions avec toute la force dont elles avaient besoin. Chanter. Plus naturel que de parler, pour elle. Ce n'était pas juste une passion. Mais un art de vivre. Une manièr...