Chapitre 16

255 18 8
                                    

PDV Kanako

Je souffle un bon coup en reposant mon crayon sur le bord du chevalet. William, plongé dans la notation d'esquisses de premières années, relève le menton vers moi, en haussant un sourcil. Il ne lui faut qu'un moment pour comprendre, en me voyant me frotter le poignet, que j'ai besoin d'une pause. Alors il récupère son téléphone sur lequel était affiché ma photographie, dont je me sers pour réaliser mes autoportraits. Il le verrouille et se penche sur ce que j'ai réalisé jusque là. Il se contente d'un grognement que je décide d'interpréter comme un « ça peut aller », que je traduis comme un « il y a du progrès ». Avec lui, il vaut mieux comprendre le sens de ses gestes, mimiques et bruits, tant les mots semblent parfois lui brûler la gorge.

William, de ce que je comprends, c'est une personnalité multiple, qui se dévoile en fonction de ses envies et de ses humeurs, tout autant qu'en fonction des personnes qui l'entourent. Une fois ronchon, la suivante renfermé, un instant plus tard froid, et puis d'un coup, bavard, taquin ou joueur. William est un condensé de millions de façon d'être, et le suivre est parfois compliqué. Si je me risquait à une comparaison hasardeuse, je dirais qu'il est un tableau, rempli de couleur, dont les nuances se dévoilent au fil du temps. Et de façon étrange, je trouve cela plutôt intriguant, et amusant, de découvrir ces nuances. Certaines sont plus appréciables que d'autres. Je préfère le regarder taquiner Natt que critiquer sèchement un étudiant sur son dernier travail. Mais d'une certaine manière, même les parties les moins accueillantes de sa personnalité me paraissent tout à fait essentielles dans la construction de qui il est.

— Tu comptes me fixer longtemps comme ça ?

Son ton n'est pas dur comme l'on pourrait s'y attendre, mais plutôt un brin moqueur, joueur. Un timbre de voix que je ne l'ai entendu utiliser qu'avec Charlotte et Natt, et de plus en plus, avec moi. Une pique par ci, une autre par là. Parfois, je réponds, parfois, comme ici, prise sur le fait je rougis. Et son sourire en coin apparaît, sourire qu'il maîtrise à la perfection, et que j'aime le voir afficher. Ça, c'est une nuance que j'apprécie de lui. Celle qui le différencie de ce tyran que tout le monde décrit, et qu'il ne laisse apercevoir qu'en une certaine compagnie. De cette manière, j'ai presque l'impression de me sentir privilégiée.

Je me lève, pour cacher la rougeur de mes joues qu'il a pourtant déjà aperçu, et me dirige vers mon sac. Quand j'en tire un manuel, cette fois-ci, c'est moi qui souris, quand il grimace. Malgré les jours qui passent, se pencher sur la philosophie ne l'enchante guère. Pourtant, il s'y met à chaque fois, avec plus ou moins bonne grâce. J'ai fini par comprendre qu'il râlait surtout pour la forme.

Je feuillette le livre sans vraiment prêter attention à ce que j'y trouve, lisant seulement au détour des phrases les citations qui y apparaissent. Parfois, je m'amuse à les taper sur mon téléphone et les faire lire par la voix automatique, tandis que William continu de noter ses copies, en espérant échapper à cette partie de notre journée.

Cela l'oblige à écouter, alors que je l'aurai soupçonné de faire semblant de lire autrement. De toute manière, il n'y aurait pas grand intérêt que je tape lire ces lignes sur mon téléphone et lui tende, comme je le fais lorsque je souhaite lui « parler ». Autant qu'il lise le livre, dans ce cas. Chose qu'il ne fera sûrement pas.

Nous ne sommes jamais aussi mal protégés contre la souffrance que lorsque nous aimons. – Sigmund Freud.

Il me jette un coup d'œil sans répondre, comme pour les dix dernières citations.

C'est un peu pessimiste.

— Et pas si faux.

Je hausse un sourcil, presque surprise qu'il se décide à réagir, et le laisse s'expliquer devant mon interrogation évidente.

Amour Muet - Aime-Moi Tome 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant