Chapitre 15

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PDV William

Je m'étonne autant de la laisser me raconter sa vie que d'y trouver de l'intérêt. Pour une raison que j'ignore, je me retrouve là, attentif à son histoire, et désireux, en quelques sortes, d'en savoir plus.

Assis à quelques mètres d'elle, je lis ce qu'elle veut bien m'écrire, en me servant de la lueur de ses yeux pour imaginer les émotions qu'elle mettrait dans sa voix.

Son passé me touche, pour plus d'une raison. Le deuil d'un parent, c'est un fait que je connais. Même si à son contraire, j'ai des souvenirs de ma mère. Est-ce la même douleur, lorsque les souvenirs sont trop flous pour formuler des visages ? Je ne doute pas de l'intensité. Simplement de la forme même de ce mal.

Le rouge. L'espace d'un instant, je transpose cette couleur autour d'elle. Je l'imagine, ses traits formés par mon pinceau, entourée de cette étendue couleur passion. Ça lui irait bien, inévitablement. C'est un ton qui ferait ressortir son teint pâle, et les reflets ambrés que l'on retrouve dans ses pupilles marrons. J'ajouterais quelques pétales de la même teinte, dans ses cheveux noirs, afin qu'elle soit sublimée et ressorte de la blancheur de la toile.

J'ai passé la première année de ma nouvelle vie d'orpheline baladée entre les foyers et familles d'accueil, à cause d'un vis de forme administratif. Heureusement, ma grand-mère a pu me récupérer à l'aube de mes six ans.

Les mots qui défilent devant mes yeux me permettent d'oublier cette image que mon esprit souhaite peindre alors que ma raison me le refuse. Il est hors de question que je dessine Kanako.

Je tente de ne pas trop imaginer à quoi devait ressembler sa vie. Perdre ses parents et se retrouver éloignée de sa seule famille à 5 ans, ça n'a pas dû être une mince affaire, pour une petite fille. La vie est souvent mal faîte. Mais dans son cas, l'histoire se termine bien, ou presque.

Sans elle, je crois que j'aurai sombré sous le poids de ces souvenirs dont je ne parviens aujourd'hui plus à me rappeler. Et encore récemment, j'aurai été incapable de supporter ce qu'il m'est arrivé.

La perte de sa voix. La curiosité naît au fond de moi sur la raison qui a poussé à ce mutisme forcé. Mais je n'ai pas à poser la question. Un sourire perce sur ses lèvres, signe que la conversation prend un ton plus léger pour elle. Au fond, si je n'aurais pas été ennuyé d'en savoir plus de sa vie, ça me soulage. Car l'étincelle de douleur dans son regard me vrillait de l'intérieur. C'est une sensation peu agréable, d'autant plus lorsqu'on en ignore la source. On pourrait dire que c'est humain, que c'est de la compassion. Mais ce n'est rien de ce que j'ai l'habitude de ressentir.

D'ailleurs, je ne serai pas là tout court, à mon avis. Elle a piqué en douce mes dessins pour les donner au doyen !

Je laisse un sourire courir sur mes lèvres, et trop absorbée par ce qu'elle se met à raconter, elle ne s'en aperçoit pas. L'entrain qui l'habite en parlant de cette femme qui l'a élevée lui fait oublier un moment la fatigue qu'elle peut ressentir. C'est assez amusant.

Le pire, c'est qu'elle n'a eu aucun remord d'avoir fouillé dans mes affaires, lorsque je l'ai confrontée. Ça ne devrait pas m'étonner d'ailleurs. Malgré son âge, le terme chipie lui va à merveille.

Je me demande malgré moi si je l'ai déjà vu aborder ce genre de sourire, depuis que je l'ai rencontrée. Certainement pas lors d'un de mes cours, c'est sûr. Mais avec ses deux amis ? Avec Natt et Charlotte ? Je n'en suis pas certain. Sourire, rire, rougir, oui. Mais ce sourire. C'est différent. C'est empli d'un sentiment qu'elle ne semble réserver qu'à cette personne en particulier. J'aimerais comprendre ce qu'elle peut ressentir, mais cela m'est bien étranger. Je ne me rappelle pas avoir sourit autrement qu'ironiquement en évoquant mon père ces dernières années. Et je n'évoque jamais ma mère. Natt ? A part sourire quand je suis ravi de l'emmerder...

Amour Muet - Aime-Moi Tome 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant