PDV William
Le visage de mon cousin quand il passe la tête dans l'entrebâillement de la porte de mon atelier est trop innocent pour ne pas m'inquiéter. Natt n'est jamais innocent. Ce terme est d'ailleurs l'exact opposé de sa personnalité. Le fait qu'il se mette ensuite à marcher les bras dans le dos en sifflotant renforce ma certitude qu'il a une idée derrière la tête.
Je l'arrête en grognant lorsqu'il fait mine de s'intéresser à une toile dans un coin de la pièce. Le mouvement aurait pu paraître réel si il n'avait pas choisi un simple brouillon sur lequel je teste mes couleurs.
— Qu'est-ce que tu veux ?
— Qui te dit que je veux quelque chose ?
— Ton putain de sourire niais.
Il pose une main sur son cœur, en grand dramaturge qu'il est, avant de laisser tomber devant mon manque de réaction.
— Tu travailles sur quoi ?
Il s'approche de moi et se penche par dessus mon épaule, pour regarder l'ébauche que je réalise. Une silhouette que je connais par cœur, et que je ne peux m'empêcher de coucher sous mes lignes. Fort heureusement pour moi, il ne semble pas la reconnaître avec l'avancé du dessin actuel. Je m'évite quelques réactions plus qu'agaçantes à base de cris et sauts bruyants.
— Tes tentatives d'approches ne sont pas discrètes.
— Bien, j'abandonne. Je veux te parler de Kana.
— Étonnant.
— Si tu t'en doutes, pourquoi tu ne lances pas toi-même les conversations ?
— Parce que je n'ai pas envie d'avoir des conversations.
Celles-ci m'amènent trop de soucis : des pensées parasites, des questions qui tournent en boucle dans mon esprit, des idées que je ne parviens plus à laisser enfermées. Discuter avec Natt, Charlotte, ou tout autre personne de ce que je peux ressentir pour la jeune femme m'oblige à y penser et tenter d'y mettre des mots. Or, les mots ne composent pas mon monde. Moi, j'y mets des couleurs, des centaines de teintes que je suis le seul à pouvoir appréhender, et cette idée me satisfait. Le tableau qui se dessine au fond de moi lorsque je suis avec elle, ou lorsque je pense à elle, il n'appartient qu'à moi.
— Tu changes, à son contact, tu sais.
Je ne le nie pas. Je serai idiot de tenter, car je suis à peu près certain qu'il est capable de me sortir un carnet dans lequel il aurait notifié tout ce que j'ai pu faire de nouveau ces dernières semaines.
— J'ai un peu l'impression de retrouver celui que tu étais, avant. Avant de te renfermer sur toi-même.
Je grogne, conscient qu'il n'a pas tort, mais peu ravi qu'il en vienne à parler de ce sujet-ci.
— Rien que le fait que tu la laisses entrer dans ta vie en est un exemple criant. Tu deviens plus doux. Comme tu l'étais lorsque ta mère était là.
Mon regard l'enjoint à ne pas poursuivre plus loin. Le fait que je ne lui lance pas d'objet au visage en hurlant témoigne tout de même d'une maîtrise de moi-même plus importante qu'autrefois. Peut-être le sujet est-il moins douloureux avec les années. Ou peut-être qu'au fond, je sais qu'il n'a pas tort.
— Que ressens-tu, pour elle ?
— Je n'ai pas envie d'en parler.
— Ou bien tu n'es pas encore capable d'y mettre des mots.
— Ce qui devrait permettre de mettre un terme à cette conversation non désirée.
Il s'assoit sur un tabouret à côté de moi, me signifiant avant qu'il ne parle que je n'aurai pas gain de cause pour cette fois. Soit, je souffle en reposant mon crayon.
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Amour Muet - Aime-Moi Tome 2
RomansKanako a mal. Toute sa vie, elle n'a trouvé qu'une seule façon d'exprimer ses émotions avec toute la force dont elles avaient besoin. Chanter. Plus naturel que de parler, pour elle. Ce n'était pas juste une passion. Mais un art de vivre. Une manièr...