Il avait espéré des marches moins étroites, et peut-être même un ascenseur.
En jetant un dernier œil dehors, l'homme à lunettes secoua son parapluie et essuya les épaulettes de son complet trop grand.
C'était la première fois qu'il venait ici. Depuis qu'elle avait quitté son logement de fonctions.
Pourquoi diable avait-elle choisi un endroit comme celui-là ?
Un immeuble insalubre, perdu dans les ruelles les plus glauques de Tokyo, hanté par de sombres silhouettes au corps décharné et à l'hygiène plus que douteuse. Si on ne lui avait pas répondu à l'accueil, il aurait juré entrer dans une maison hantée...
– La troisième à gauche. Deuxième étage », marmonna une voix rauque depuis l'autre côté du comptoir.
Ses cheveux gras lui tombaient sur le front et cachaient le blanc de ses yeux rongés par l'alcool et la solitude. La gérante faisait partie de ces gens à qui on ne donne plus d'âge, et dont la vieillesse se prolonge dans une misérable décadence jusqu'à n'en faire un tas de peaux défraichies, de graisse, d'os et de saletés dont même les chiens ne veulent plus.
– Merci.
– Si vous lui cherchez des emmerdes j'appelle les poulets.
– Je suis un ami.
– Elle n'a pas d'ami.
C'était vrai. Aussi vrai que lui-même faisait partie des poulets dont elle parlait, donc pas grand-chose à craindre de la vieille grabataire.
– Je n'en n'ai pas pour longtemps.
L'étroitesse des escaliers lui donna le tournis. Au détour du premier étage, il entendit un bruit exécrable de déglutition et dut presser le pas pour ne pas être submergé par l'odeur.
Le clapotis de la pluie griffait les fenêtres, et il se surprit à fixer les vitres comme si c'était le dernier regard qu'il lancerait vers le monde extérieur.
La troisième porte à gauche du deuxième étage, qui aurait en réalité pu se situer au quatrième niveau, tant les plafonds étaient hauts, affichait le numéro 6. Il frappa. Quelques secondes à peine s'écoulèrent avant qu'une voix résonne de l'autre ôté du panneau pour l'inviter à entrer. Le verrou n'était même pas fermé.
« Ça faisait longtemps, Ango. »
Elle était assise sur une chaise pivotante à accoudoirs, face à sa fenêtre. La chambre était d'une propreté inattendue. Aussi propre que vide. Seul un lit une place trônait au centre, impeccablement fait, accoudé à une petite tablette qui devait lui servir de bureau mais où il n'y avait pas un seul livre, une seule feuille ou un stylo. Le mur opposé avait été affublé d'une penderie où se balançaient trois robes, deux jupes, quatre chemisiers et un manteau, au-dessus d'une paire de talons si usés qu'on en avait mal aux pieds rien qu'à la regarder. Un petit lavabo, des toilettes et un bac à douche faisaient office de salle de bain, seulement séparés de la chambre par un petit muret où reposait une serviette blanche. Une subtile odeur de lavande s'en dégageait, et il comprit que c'était sûrement là le seul luxe qu'elle s'accordait. Il régnait dans cette chambre toute grise, à la peinture jaune passée depuis longtemps et au plafond rongé d'humidité, une impression de solitude qui dévorait l'âme et le cœur.
– Ça faisait longtemps, en effet.
Il s'aperçut que sa voix tremblait.
Lentement, et avec un petit sourire, elle se tourna vers lui et lui pointa du doigts l'extrémité du lit.
– Tu peux t'asseoir.
– Avec plaisir.
Ce visage, il ne l'avait pas vu depuis trois ans, si bien que la regarder dans les yeux, c'était comme plonger dans le passé. Ni grande ni petite, elle avait la peau blafarde, les traits tirés et de longues cernes sous ses pupilles d'un gris marin et terne. Ses cheveux bruns tombaient en boucles négligées sur ses épaules, dont elle tentait de dissimuler la maigreur sous un châle rapiécé. Elle portait une robe noire au col remonté qui lui donnait l'air d'une vieille femme en deuil. Tout dans le sourire qu'elle lui délivrait, dans la manière dont elle le regardait, sentait l'amertume, l'abandon. Il avait l'impression d'avoir une morte en face de lui.
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Bungou Stray Dogs - La Déchéance d'un homme
Hayran KurguLorsque Kogoro Akechi, un fou enfermé depuis cinq mois dans un asile, disparaît sans laisser de traces, les autorités décident de se tourner vers l'Agence des Détectives armés. Il semble cependant que l'affaire, en apparence anodine, réveille peu à...