Chapitre 20

12.6K 1K 58
                                    

Kyrian fut absent tout le reste de la journée. Ne voulant guère devoir emprunter de l'argent à Amélia chaque fois qu'il en avait besoin, il avait cherché un travail, évaluant la formation nécessaire de tous les postes potentiels. Passionné par la mécanique, il avait étudié pendant un an dans une école supérieure spécialisée dans l'ingénierie automobile et aéronautique. Cette unique année d'étude lui avait permis, quelques jours plus tôt, d'être engagé en tant que mécanicien. Si son père n'avait jamais été un exemple à suivre, en revanche, une leçon qu'il avait apprise de lui était qu'un véritable homme devait être indépendant financièrement afin de pouvoir subvenir aux besoins de sa famille. Aussi avait-il remboursé Amélia dès que l'occasion s'était présentée. 

Une fois de retour à l'appartement, son ventre émit un grondement sourd qui lui rappela qu'il n'avait rien mangé de toute la journée hormis son petit déjeuné, faute de temps. Il se promit d'apprendre à Amélia les bases de la cuisine car il n'allait pas se nourrir de conserves éternellement. Dès qu'il eut ouvert la porte, il l'a trouva assise sur le canapé, plongée dans la lecture de son roman. Elle ne semblait pas avoir remarqué sa présence, aussi décida-t-il de rompre le silence. 

- Femme, fais-moi un mets comme j'aime et apporte le moi, annonça-t-il nonchalamment. 

Elle ne prit même pas la peine de lever les yeux de son ouvrage et le salua, comme à son habitude, par une réplique subtile. 

- Homme des cavernes, c'est à moi que tu parles là ? 

- Non. Au pape ! répondit-il avec ironie.

Pour cette remarque, il eut droit à un regard glacial. Puis, elle replongea dans sa lecture comme si de rien était. Il la trouvait jolie dans sa tenue estivale: un débardeur en lin avec un simple short. Mais, pour l'heure, son estomac avait le plus besoin d'attention. Il s'avança, prit le livre et le jeta d'un air indifférent.

- Je rêve ou tu viens de jeter mon livre à terre ? s'insurgea-t-elle. 

- Je l'ai laissé tomber, nuance.

- Ne jette plus jamais mes affaires à terre, sinon c'est toi que je jette à terre, est-ce clair ? le menaça-t-elle.

- C'est une promesse ? demanda-t-il de manière suggestive. 

Son regard de braise semblait la déshabiller et son sourire séducteur la désarma. Comment la simple vue de son visage pouvait-elle exercer un tel effet sur elle ? Elle dû se gifler moralement pour reprendre ses esprits. 

- Je ne suis pas une bonne. Si tu as faim, tu te débrouilles. Cesse de me prendre pour une de ces femmes soumises qui font tout ce qu'on leur demande. 

- J'allais dire une emmerdeuse, coincée, autoritaire, mais c'est vrai qu'il y a ce petit côté femme soumise qui revient de temps en temps.

- Espèce de...

Compte tenu de la situation, elle préféra s'abstenir de finir sa phrase. Humblement, elle ramassa son livre et recommença sa silencieuse lecture.

- Bon allez, finit-il par dire. Viens, je vais t'apprendre à cuisiner. Je ne pourrai pas le faire tout le temps, et les conserves me fatiguent.

- Mange des plats surgelés, que veux-tu que je te dise, dit-elle d'un ton désinvolte.

Kyrian la dévisagea longuement, quand soudain, une idée sournoise naquit dans son esprit tordu.

- Bon écoute. Tu veux que je t'accompagne au mariage, n'est-ce pas ? Si tu acceptes les cours que je te donne, je pourrai éventuellement annuler ma réunion. 

- Je croyais que tu ne voudrais y aller qu'en échange d'une pipe ? demanda-t-elle, méfiante.

- Je la veux toujours. Mais je ne te forcerais pas. J'attendrai que tu viennes de ton plein gré.

Elle lui jeta un regard indigné. Cet homme pensait-il réellement qu'elle allait se jeter à ses pieds et...mauvais exemple. Elle l'avait tout de même supplié à genoux. Sa dignité en avait prit un coup ce jour-là. 

- Jamais ! se contenta-t-elle de dire.

- Ne jamais dire jamais, sourit-il en lui faisant un clin d'oeil. Alors, tu acceptes ? Dernière chance.

- Va pour la cuisine.

- Mais que ce soit clair, je t'y accompagne en tant que simple cavalier, et non en tant que petit-ami ou je ne sais quoi.

- J'imagine que ce n'est pas négociable, soupira-t-elle.

- Exactement. Bien, revenons à la cuisine.

Quelques minutes plus tard, ils se retrouvèrent tous deux dans la cuisine, un tablier noué à la taille. 

- Alors je t'explique, dit-il en plaçant un poulet cru devant elle. Poulet, voici Amélia. Amélia, voici poulet. 

- Il a une drôle de tête ton poulet, dit-elle en examinant l'aliment visqueux et rosâtre. .

- Evidemment, il est cru ! s'exaspéra-t-il. Amélia, n'as-tu jamais cuisiné de ta vie ? Bref. C'est bel et bien un poulet.  Avant toute chose tu dois le nettoyer. Vide le avec tes mains.

- On ne pourrait pas plutôt faire un truc plus simple, comme un sandwich par exem...

- Pour la dernière fois, fourre tes pattes dans ce volatile ! ordonna-t-il. Et après, va prendre une casserole et remplie la d'eau. Je reviens.

Elle n'eut pas le temps de lui demander où il allait. Elle tourna sa tête vers le poulet. Fort heureusement, Kyrian avait pris soin de couper sa tête et ses pattes à l'avance. Après plusieurs minutes, fermant les yeux, elle glissa sa main à l'intérieur de la bestiole. Premier contact assez répugnant. Il y avait des choses molles, d'autres dures. Elle commença à stresser et faillit laisser tomber. Finalement, d'un geste de la main, elle parvînt à faire sortir le coeur, le foi et d'autres organes dont le nom lui échappait et dont la vue lui donnait envie de vomir. 

Beurk, beurk, beurk ! Ces trois mots résumèrent le fond de sa pensée. Jusqu'à présent, les seuls organes qu'elle avait vu se trouvaient dans ses livres. Et les organes humains n'avaient rien à voir avec ce qu'elle avait sous ses yeux en ce moment.

Dégoûtée, elle les jeta dans la poubelle, prenant soin de ne pas les toucher. Une bonne chose de faite. Alors elle s'occupa de la casserole. Kyrian revînt quelques secondes plus tard.

- Amélia, ne t'avais-je pas demandé de mettre de l'eau dans la casserole ? 

- Oui, mais cette casserole est bizarre. L'eau ne reste pas.

Il observa ladite casserole et fut surpris d'y voir...des trous ? Certes, certains étaient idiots, mais il y avait des limite tout de même !

- Amélia, ceci n'est pas une casserole, ceci est une passoire cuit-vapeur ! s'écria-t-il déconcerté.

- Ah, c'est plausible. Ça explique la présence des trous.

- Pourquoi as-tu autant d'objets dans ta cuisine si tu n'en connais même pas le nom, ni l'utilité ?

- Ma cuisine serait vide sinon. Et puis je ne cuisine jamais. Soit je me fait livrer des plats, soit de je mange des plats surgelés. Sinon, la plupart du temps, je mange avec Jonathan.

Poussant un soupir exaspéré, Kyrian roula des yeux en secouant la tête. Lorsqu'il se demandait qu'elles autres surprises Amélia lui réservait, jamais il n'aurait pensé être un jour confronté à une telle naïveté. Il se massa les tempes du bout des doigts et se détendit quelque peu.

- Bon, il est évident que je suis allez un peu trop vite. On va donc reprendre depuis le début. Mais alors, depuis le tout début.

Ils passèrent ainsi les heures suivantes à définir le nom et la fonction de chaque ustensile. Pourquoi avait-elle une cuisine, si c'était pour ne jamais y mettre les pieds ? Comment avait-elle pu se débrouiller jusqu'ici ? Il ne le savait guère. Il bénissait les plats surgelées et les conserves, car sans eux, Amélia serait morte de faim depuis longtemps. Comment allait-elle s'en sortir lorsqu'il partirait ? Car il allait partir. Il ne lui manquait plus que deux semaines et demie. Le puissant désir que lui inspirait Amélia n'était pas assez suffisant pour le faire changer d'avis. 

Never Leave Me AgainOù les histoires vivent. Découvrez maintenant