28.

90 14 11
                                    

[CONTENU SENSIBLE]


Mars

Les cours sont un véritable enfer. Cependant, je dois bien avouer que ce n'est que le juste retour de flamme pour le Diable que je suis.

La plupart du temps, au lycée, je me contente de faire acte de présence. Le reste de celui-ci, je fais tout pour ne pas être aperçue. Je me terre au fond des classes, matière après matière et jour après jour.

La cafétéria n'existe plus, pour moi. Inutile de me mêler aux étudiants en quête de ragots, je préfère m'asseoir sur mon banc et patienter. Attendre, jusqu'à ce que la cloche sonne, m'annonçant la guerre qui reprend et que je m'efforce d'affronter.

Je ne suis pas vaillante, loin de là. Et ce n'est vraiment pas par choix que je tiens encore debout.

Que mes bras m'en soient témoins, j'ai plusieurs fois tenté d'abandonner. Mais à chaque fois, ce n'était pas assez. Pas assez fort, pas assez profond. Pas assez de détermination, ou de conviction.

Je cache les cicatrices par de longs pulls, en dépit de la chaleur d'avril qui guette la ville.

Je les cache, et puis, je prends soin de les oublier, autant que je le peux moi-même. Parce que chacune d'elle me donne envie de recommencer.

Comme souvent à cette heure de la journée, je mords dans mon sandwich. Une bouchée, c'est ce que j'arrive à avaler avant d'avoir envie de vomir mes tripes. J'essaye pourtant. Je continue d'espérer. Je lutte, petits bouts après petits bouts, pour reprendre les kilos qui m'ont fui.

Mais aujourd'hui, je ne bats pas de records. Après avoir observer le pain durant un temps indéterminé, je croque, j'avale, donc, le cœur au bord des lèvres, et puis, j'arrête. Je donne quelques miettes aux moineaux dont la vie semble être bien plus belle et enrichissante que la mienne.

Et puis, je me lève.

Parce que l'alarme qui désigne la reprise de la bataille vient de retentir.

Mes muscles tremblent, mon corps se refroidit et se vide de son sang, mon cerveau travaille sans relâche. Il cherche le meilleur moyen d'éviter l'attroupement. De se détourner des regards. Des accusations. Des rires, encore plus horribles que mon environnement.

Ma mère est inquiète, d'ailleurs. Elle ne cesse de répéter que sans moi, elle ne tiendrait pas. Que quoique les gens disent ou fassent, je me dois d'y survivre. Qu'un billet froissé ne perd pas de sa valeur et que je ne dois jamais oublier qui je suis, tout au fond de mon cœur.

Mais qui suis-je, réellement ?

J'ai beau chercher, je ne crois pas m'en souvenir.

Mon cœur ne bat plus depuis qu'Arès ne se tient plus à mes côtés pour lutter. Je ne suis pas égoïste, ce n'était pas son rôle et c'est sûrement mieux ainsi.

Mais bon sang, mon organe vital me fait tant souffrir que j'ai l'impression qu'on me l'arrache à chaque fois que je pose mes yeux sur lui.

Et là, dans ce couloir que personne n'emprunte jamais à cette heure, car il ne mène qu'à la bibliothèque, là où j'attends que tout le monde s'en aille pour pouvoir enfin me montrer, pour pouvoir enfin exister, je le vois.

Et une fois de plus, le sang cesse d'affluer.

La douleur est difficile, à chaque fois. Mais elle est supportable, parce que le contempler m'apporte toujours cette petite brûlure au creux du ventre. Celle de le voir parler, de le voir sourire. Celle qui me rappelle tout ce qu'on a vécu et qui m'a été bénéfique, même si ça n'a pas duré.

Mais cette fois, la brûlure à un autre effet. Elle ne se consacre pas qu'à mon ventre. Elle parcourt mon échine et mes omoplates, elle se hisse sur ma colonne vertébrale, s'enroule autour de ma nuque et vient serrer mon cou. Elle dévaste tout sur son passage, et pour cause. Arès n'est pas seul, dans ce couloir.

Maddy l'accompagne et ils s'arrêtent un instant. Dos au mur, ses yeux d'un bleu profond sont plongés dans les siens, verts et pétillants.

Je n'entends pas ce qu'ils se disent, mais la position n'en est que plus difficile à regarder. Le corps de Maddy presse contre celui de mon Arès. Ses seins bombés touchent son torse, et son visage est incliné de façon à le dévisager de près.

Elle se lèche les lèvres, et je sais que ce qui va arriver va réellement me détruire. Mais je suis incapable de parler. Non, pire, je ne suis même plus dans la possibilité de respirer.

Et ce qui devait arriver... arriva.

Devant moi, à l'écart de tout et de tout le monde, Arès et Maddy s'embrassent. La nausée s'empare de moi à nouveau, si bien, qu'un haut le cœur secoue mon corps douloureux.

Les pièces du puzzle ne veulent pas s'assembler. Je pensais qu'on s'aimait, que ce qu'on vivait été réel. Qu'on s'était quitté sur quelque chose de difficile, mais de sincère.

J'essaye. Je tente vraiment de comprendre, les yeux posés sur ce baiser aussi long que l'éternité elle-même, mais je dois juste me rendre à l'évidence.

Il est passé à autre chose.

Rapidement, beaucoup trop pour que ce ne soit pas un mensonge. Et avec Maddy, en plus. La seule qui aurait pu finir de compléter le désastre qu'est ma vie.

Et soudain, comme une réaction vitale de mon corps pour échapper à cette scène, je suis secouée d'un nouveau spasme stomacal.

Seulement, derrière moi, il n'y a que la bibliothèque. Alors, sans me soucier plus d'eux et de ce qu'ils sont en train de faire, je cours sans m'arrêter, leur passe devant sans me retourner, et me rue aux toilettes, la main devant la bouche, prête à dégobiller mes tripes en public.

Je vomis pendant cinq bonnes minutes la bile que produit mon estomac vide. Douloureux et amer, je me brûle l'œsophage et la gorge à force de me vider.

Et quand enfin, mon être cesse de trembler et de rejeter cette horrible révélation, je me redresse, à bout de force, tire la chasse d'eau et m'assieds sur la planche abaissée.

Ensuite... je me mets à pleurer. Tellement que je n'arrive pas à contenir le bruit de mes sanglots qui échappent férocement à mon âme.

Je sanglote, retenant mon envie de hurler au monde que tout ce qui se passe est injuste, encerclant mes jambes recroquevillées de mes bras et me balançant d'avant en arrière, la détresse se déversant au sein de mes veines.

Je ne suis plus qu'une chose faible, errant dans la vie, errant au lycée, errant avec elle-même. Mes bras me démangent, il demande la peine que je mérite.

Celle que l'on se doit de payer lorsqu'on est présumée coupable.  




Oups ! Cette image n'est pas conforme à nos directives de contenu. Afin de continuer la publication, veuillez la retirer ou mettre en ligne une autre image.
Présumée Coupable (terminé) [en réecriture]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant