5.

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Octobre


— Très bien, s'il vous plaît fermez la porte, nous allons commencer.

Le professeur Salto s'installe devant le tableau et entame des grands gestes à la craie.

La tête qui repose entre mes mains, je me concentre sur sa tâche en essayant de paraître convaincante. Le cours de philosophie est de loin mon préféré, malheureusement, ces temps-ci, je n'ai pas le cerveau à en profiter.

Qu'est-ce que l'absurde ? demande-t-il alors en se retournant, la phrase désormais posée sur l'énorme tableau noir.

Des doigts se lèvent, des visages se tordent et son regard parcourt la pièce à la recherche de la meilleure version de l'absurde.

— Je peux m'asseoir ici ?

Je me tourne vivement vers la voix grave et sûre qui m'interpelle dans ma réflexion. D'un mouvement de tête rapide, j'accepte la proposition avant de me concentrer sur le professeur de philo.

Arès prend place sur le siège à côté du mien. Le prof, contrairement à moi, n'a rien loupé de son arrivée dans l'amphithéâtre. Il marque un temps d'arrêt en attendant que celui-ci s'installe avant d'interroger mon voisin.

— L'absurde ? répète Arès en fronçant les sourcils.

Il réfléchit un instant.

L'absurde... c'est la raison lucide qui constate ses limites.

Je pose mon regard sur lui, tout comme le professeur Salto qui semble pour le moins satisfait de cette réponse. Un rictus prend place sur son visage marqué par la vieillesse et il tape dans ses mains, très convaincu.

— Vous êtes monsieur... ?

— Santos, affirme Arès dont la silhouette s'étend à côté de moi.

— Et bien monsieur Santos, Camus est de loin mon préféré également.

Il lui envoie un sourire sincère et profond, avant de poursuivre son cours durant lequel je peine à me concentrer après ça.

Après lui. Après son arrivée.

Ses yeux se posent quelques fois sur moi et même si je le retiens du coin de l'œil, je ne peux me résoudre à le fixer. Son parfum chatouille mes narines à chaque fois qu'il s'étire et ses avant-bras bronzés et imposants prennent souvent toute la place et empiète sur l'accoudoir de mon siège.

Cependant, je ne dis rien, pas même lorsqu'il s'empare de mon stylo pour griffonner quelque chose dans son carnet.

— Je préférais l'autre, dit-il en raturant.

Je fronce les sourcils en me tournant à nouveau vers celui qui avance un silence et me dévisage. Le bleu sombre de ses yeux envahit soudain tout l'espace entre nous.

Habillé d'un haut des Nirvana sur lequel une silhouette féminine porte des ailes d'anges, il reste neutre quant à la phrase qu'il vient de prononcer, ne me donnant aucune indication sur la définition de celle-ci.

— L'autre quoi ? tenté-je de demander.

— L'autre tee-shirt. Le tien est cool, mais le mien t'allait mieux.

Je ne peux retenir un léger sourire en jetant un œil à mon vêtement blanc, tout simple.

— Pas trop ringard cette phrase, pour quelqu'un qui cite Camus à ses heures perdues ? questionné-je, pleine de sarcasme.

Il secoue la tête en regardant devant lui, un rictus traversant son visage. De profil, il est beau à tomber.

Je détourne les yeux alors que les siens se reposent sur moi.

— L'un n'empêche pas l'autre, il faut croire.

Je retiens un rire pendant qu'il se mord la lèvre en souriant.

— Et je ne te draguais pas, me reprend-il avec un air sournois.

J'avale ma salive, soudain gênée, puis hausse les épaules vaguement.

— C'était pour plaisanter... soufflé-je, plus pour m'en convaincre moi-même que pour lui.

Il sourit, franchement cette fois, avant de se lever brusquement. Dans la seconde, la sonnerie retentit et le brouhaha de la salle s'élève, nous sortant de notre bulle.

Je ramasse mes affaires alors qu'il est déjà à l'autre bout de la pièce, prêt à quitter les lieux.

Quand je retrouve Maddy à la cafétéria, elle me fait de grands signes pour que je la rejoigne à une table. Je ne prends qu'un jus d'orange avant de venir m'asseoir près d'elle, là où tout le monde a vu sur nous, à mon immense désespoir.

Depuis la rentrée, j'essaye de me faire la plus invisible possible. J'évite tout et tout le monde et je dois avouer qu'après un peu plus d'un mois de cours, ça commence peu à peu à marcher. Les gens n'oublient pas totalement qui je suis, mais en tout cas, ils ne me prennent plus pour leur bouc émissaire.

Les journées se suivent et les regards s'amenuisent, même s'ils ne disparaissent pas complètement. Mais me retrouver en plein milieu de la cafétéria, là où tous y mettent de leurs petits potins, c'est encore trop pour moi.

— Ça va ? T'as l'air bizarre, me reproche Maddy.

Je hoche la tête puis bois une gorgée du jus que je tiens entre mes mains.

— Oui, ça va.

Je jette un regard au groupe de filles qui éclate de rire à quelques mètres de là tout en reprenant une lampée. Dans le quotidien sombre et offusquant que je mène, leurs hilarités m'effraient. Ils me rappellent sans cesse que la mienne a disparu.

— Eh Maddy, qu'est-ce que tu fiches avec elle ? s'élève soudain une voix criarde.

Je manque de m'étouffer avec ma boisson. Maddy, quant à elle, se complait d'un simple regard à ses interlocutrices.

— C'est bon, lâchez-moi.

J'avoue être un peu déçue de sa répartie, mais je n'ajoute rien et me contente de voir cette fille trop blonde s'avancer vers nous avec son air hautain et ses talons de douze.

D'un mouvement grotesque, elle s'appuie sur notre table et plante ses yeux en amande dans ceux de mon amie, un sourire animal vissé aux lèvres.

— Si tu ne bouges pas rapidement ton cul de là, tu finiras comme elle. Seule, pathétique et sans espoir. 


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