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— Noa, attends ! Tu peux quand même comprendre, non ?

Alors qu'elle s'exclame dans mon dos, je marche d'un pas décidé vers la porte d'entrée. Mon cerveau ignore ses paroles qui essayent d'excuser son comportement, mais mon cœur, lui, endure. Il souffre d'entendre une des personnes que j'aime le plus au monde s'entêter à me mentir quand la réalité est on ne peut plus claire.

Maddy a craqué. Elle a craqué et elle a rejoint le mauvais camp. Je ne vois pas d'autre explication possible à ce que je viens de surprendre.

— Tu crois que c'est simple, pour moi, d'être l'amie de la pestiférée du lycée ? tonne-t-elle derrière mon dos.

Cette phrase me glace le sang et m'oblige à me retourner. Le regard hargneux, je me plante devant elle avec l'envie de lui cracher ses quatre vérités à la figure.

— La pestiférée, vraiment ?

Je la reluque de haut en bas. Comme si sa trahison ne suffisait pas, sa robe est simplement celle qu'elle a achetée l'autre jour avec moi, lors de notre séance shopping. À ce moment-là, cela ne semblait pas la déranger de traîner avec celle que tout le monde déteste.

Je n'y ai vu que du feu.

Mais elle savait. Elle était au courant pour la soirée et elle ne m'a rien dit. Peut-être par honte qu'une fois de plus, on l'aperçoit à mes côtés.

Oui, c'est ça. Sûrement par honte.

— Tu ne sais pas ce qu'ils disent de toi... poursuit-elle en baissant la tête.

Au contraire de sa voix qui s'adoucit, mon palpitant se remet en action. De colère, de haine, il hurle à l'injustice.

— Et donc, tu t'es dit que passer de leur côté était la meilleure solution.

Ma voix tremble, maintenant. La ronde qui s'est formée autour de nous me file de l'anxiété. Et la boule noire qui a pris pour habitude de s'insinuer au creux de ma gorge revient comme une fusée pour tenter de m'étouffer.

— Tu sais ce qu'ils m'ont fait... soufflé-je, le cœur lourd et prêt à exploser, juste au bord des yeux.

Elle reste silencieuse en me dévisageant, ses yeux vert bouteille scintillant dans la pénombre de cette maison dans laquelle tous les malheurs s'abattent constamment sur moi.

Elle ne dit rien, rien du tout. Elle ne s'excuse même pas pour ce qu'elle est en train de faire.

Dans mon présent et dans le leur, il est normal de réagir ainsi. De me tourner le dos, de me trahir, de me blesser. C'est même impératif si l'on veut survivre au lycée, et Maddy a fini par le comprendre.

Un peu tard, certes, mais comme les autres. Elle a fini par le comprendre.

Je sens Arès s'approcher de moi tel un dompteur qui ne voudrait pas effrayer son félin. Quand sa main brulante se pose sur mon avant-bras, je sais ce qu'il m'ordonne, en silence et affectueusement. Je sais ce que je dois faire. Ce que je n'ai plus le choix de faire. Je dois baisser les armes, une fois de plus, parce que le droit à la parole n'existe pas, quand on est la fille d'un assassin.

Alors doucement, je retire mon membre de l'emprise de celui qui a le regard vide et désolé et m'apprête à tourner le dos pour la première fois à ma meilleure amie, le cœur en milles de perdre la dernière personne de ma vie d'avant.

Mon père est en taule, ma mère est brisée, Maddy est une foutue traîtresse et moi...

Moi, je suis anéantie.

Je ravale mes larmes et déglutis avec force malgré cette haine et cette tristesse qui me brûlent les entrailles et tout en la fixant, je lâche d'une voix remplie d'amertume :

— Tu as choisi ton camp, on dirait. Je te dirais bien d'aller te faire foutre, mais le peu de respect qu'il me reste pour toi m'en empêche.

Elle fronce les sourcils, mais j'aperçois une lueur de peine dans son regard.

— Tu as dit que je n'étais pas coupable de ce que les gens pensent, reprends-je durement. Tu avais raison. Je ne suis coupable que de ce que je suis, pas de ce qu'ils ont envie que je sois.

Puis en me retournant, je lâche un regard désarmé à Arès avant de leur tourner le dos à tous les deux.

Mais alors que je m'apprête à passer la porte, Maddy se réveille et grogne derrière moi :

— Tu n'es pas si innocente que ça, Noa. Tu es coupable, bien plus que tu ne veux bien l'admettre. De n'avoir rien vu, de n'avoir rien entendu et d'avoir cru en un homme qui a tué sept personnes de sang-froid.

Je ne me retourne pas quand elle ajoute :

— Mais pire que tout, tu es coupable de continuer à l'aimer malgré ça.

Une larme roule sur ma joue et mes poings se referment, si bien que mes ongles s'ancrent dans la chair de ma paume. Mon cerveau fulmine en même temps que mon cœur se désagrège et que mes poumons s'enflamment.

Je me retourne doucement, trop doucement. Mon corps ne contrôle plus ce qui arrive.

— Comment peux-tu dire ça ?! hurlé-je soudain en me ruant sur elle.

Stoppée par le bras imposant d'Arès qui m'oblige à rester en retrait, je continue de déverser ma colère.

— Tu as connu mon père, comment tu peux oser dire ça ?! Tu sais qui il est ! Tu le sais, tout comme moi ! Il t'a poussé à la balançoire, il t'a préparé des pancakes, il t'a raconté des histoires et porté sur son dos ! Il a toujours été là pour toi, pour moi et pour tous ceux qu'il aimait !

Le chagrin dévale mes joues et vient s'écraser sur le sol avec toute la détermination et le poids de mes blessures. Dans cette pièce où j'étouffe, le calme règne et la tension est palpable. Seule la musique qu'on a baissée passe en fond sonore et rend cette scène affreusement réaliste.

Le regard de Maddy gagne en intensité et des larmes perlent au coin de ses yeux. L'une d'elles s'échappe même pour venir glisser sur sa pommette.

— Tu es la seule ici qui le connaît aussi bien que moi... Ils ont le droit de se tromper, chuchoté-je, à bout de force en regardant rapidement autour de moi.ls ont le droit de se tromper, mais pas toi...

Puis d'un geste radical, je me défais de la brûlure d'Arès sur ma peau afin de pouvoir me libérer et m'en aller, en pleine conscience de ce que je viens de réaliser tout au fond de moi.

La conviction de l'innocence de mon père et de cet amour inconditionnel que je lui voue, envers et contre toutes les preuves.


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Présumée Coupable (terminé) [en réecriture]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant