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Sa voix s'estompe en même temps que la distance que je parcours augmente. Les tremblements dans mes jambes ne cessent pas, même en courant aussi vite que je le peux. Mon corps s'arrête inconsciemment devant ce banc à l'entrée de la forêt, qui paraît pouvoir tout effacer, mais qui ne le fera pas pour cette fois, j'en suis convaincue.

Quand je m'immobilise enfin, je suis essoufflée, ma poitrine monte et descend bien trop rapidement et un gout de fer emplit ma bouche.

Les secondes passent et je reste là, silencieuse, essayant de retrouver un semblant de calme, mais n'y parvenant pas. Il n'y a rien à faire, mes muscles sont tétanisés, mes poumons enflammés et ma gorge nouée. Le stress, la colère et l'incompréhension se déversent dans mon sang. Le chaos de ma vie fait rage dans mes veines.

Alors que je suis prête à m'écrouler, quelqu'un me retourne en m'attrapant le bras avec hargne, puis des yeux bleus orageux crèvent mon cœur et mon âme en même temps.

Arès me fixe, l'arcade explosée et le visage tachés de son propre plasma. Son expression est impassible. Il ne dit rien et un long silence s'installe entre nous, loin d'être paisible pour autant. Au contraire, il est malaisant. Et après quelques instants, il finit par le rompre d'une voix grave :

– Ne me fuis plus jamais.

Je déglutis, loin de m'être imaginé ce genre de phrase, de scénario, de force dans le ton, puis fronce les sourcils pour rétorquer :

– Ne me dis pas ce que je dois faire.

Sa mâchoire se contracte et le sang perpétue de couler lentement de sa blessure, ce qui me donne mal au ventre.

– Pourquoi tu continues d'agir comme si tu étais coupable de quelque chose, Noa ?

Mes yeux se rivent vers l'entrée de la forêt. J'aimerais parfois m'y cacher et ne plus jamais en sortir. J'aimerais aussi avoir la réponse à cette question que je me pose depuis que c'est arrivé, mais j'ai beau creuser, retourner et recommencer, les choses m'échappent et je n'ai finalement aucune justification à formaliser.

– Es-tu coupable ? reprend-il.

Son visage s'incline légèrement, pendant que ses yeux scrutent les miens. Il ne peut pas imaginer ce qui se trame dans ma tête, il ne me connaît pas.

– Tu ne devrais pas rester près de moi, affirmé-je en le fixant.

Je ne reconnais pas ma propre voix, remplie de colère et de détermination. Je sais ce que ça implique d'être l'un de mes amis, Maddy en paye d'ailleurs les frais. Et comme si ça ne suffisait pas, voilà qu'Arès se met à la bagarre de couloir pour sauver le peu de réputation que je conserve.

C'est inutile. Une vaste perte de temps qui n'aura aucune fin positive, ni pour lui ni pour moi.

– Tu ne sais pas qui je suis, reprends-je alors qu'il ouvre à peine la bouche pour me répondre.

Il la referme immédiatement. En fronçant les sourcils, il essuie le haut de son visage de sa main déjà imbibée de rouge. Puis en avançant d'un pas, il colle presque son front au mien pour rétorquer en répétant mes mots, presque menaçant :

– Ne me dis pas ce que je dois faire.




***




– Ça fait mal ?

Je m'applique à nettoyer sa blessure le plus délicatement possible, mais jouer les infirmières dans les toilettes des filles, ce n'est définitivement pas mon fort. Je tangue à la vue du sang et même si je ne lui dis pas, cette entaille me donne envie de vomir mes entrailles.

Il hoche la tête doucement à la négative en guise de réponse, ce qui m'incite à poursuivre. De près, ses yeux sont d'un bleu surprenant. Il change au gré de ses humeurs, mais aussi de la lumière, c'est tout simplement fascinant.

Alors que je jette le coton à la poubelle pour en reprendre un autre, Arès me stoppe dans mon élan en arrêtant ma main de la sienne. Appuyé sur le lavabo, il reste stoïque face à mon regard inquisiteur.

– Tu as tort, finit-il par m'apprendre. Je sais qui tu es.

J'ancre mes yeux gris dans les siens et ne peux m'empêcher de me sentir mal à l'aise une nouvelle fois. Je déteste ce que je suis, et pire que tout, je déteste que tout le monde le sache.

– Alors soit tu es bête, soit complètement inconscient, réponds-je sèchement.

Il hausse un sourcil pendant que je reprends l'assaut de sa blessure qui semble aller de mieux en mieux.

– Pourquoi ? demande-t-il en se redressant, m'obligeant à arrêter une nouvelle fois.

– Il n'y a aucune personne censée qui voudrait être mon ami tout en sachant ça, Arès.

Il m'examine attentivement pendant un moment, puis un léger sourire s'insinue sur ses lèvres.

– C'est vrai, avoue-t-il. Heureusement pour moi, je n'ai pas l'intention d'être ton ami.

Je déglutis, mais ce que je ressens a changé. Je n'endure plus de stress, d'anxiété ou d'incompréhension, uniquement de l'excitation. Peut-être celle de pouvoir à nouveau être aimé et accepté, peut-être celle de pouvoir seulement y croire.

Quoiqu'il en soit, pour la première fois depuis longtemps, ce que j'éprouve me semble positif.

Après avoir fini les soins, sa blessure a meilleur aspect. Je range le bordel dans les toilettes et lui conseille quand même d'aller faire un tour à l'hôpital, juste au cas où il lui faudrait des points. Comme à son habitude, il hausse les épaules de manière désinvolte et tourne les talons pour regagner les couloirs du lycée qui, eux, ont repris une vie normale.

Néanmoins, avant de franchir la sortie, il se retourne une dernière fois.

– On se voit demain à la fête, alors.

Un clin d'œil plus tard et la porte se referme sur lui et sur toutes mes hésitations, effaçant pour de bon ma décision de ne pas me présenter à cette fête le lendemain.


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Présumée Coupable (terminé) [en réecriture]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant