27.

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Debout, dans cette tenue impersonnelle, je me regarde dans le miroir qui me fait l'effet d'un zoom optique. Les ecchymoses sur mon visage représentent bien l'état de mon cœur et de mon âme en ce moment.

Ma mère, se tenant derrière moi, a une main sur la poitrine. Elle s'efforce d'essayer de garder le contrôle, mais elle sait pourtant à quel point ce sera difficile, désormais. Je crois qu'au fond, elle se doute que la vie ne pourra pas continuer ainsi. Qu'un jour et en dépit de tous ses efforts, nous abandonnerons.

Parce qu'aucun humain normalement conditionné ne pourrait tolérer ça plus longtemps.

Elle pose une main frêle sur mon épaule et je tressaille de douleur, si bien qu'elle la retire immédiatement.

— Madame Collins ? J'ai besoin de vous pour quelques documents.

Son visage oblique et elle s'empresse de suivre le médecin. Je lui joins le pas -boîtant- pour retrouver mon lit d'hôpital. Tous deux sortent de la pièce pour arranger la paperasse, quand trois coups retentissent à la porte.

Je m'assieds sur le rebord du lit et, étonnée, j'invite la personne à entrer d'un bref oui qui peine à sortir de mes lèvres.

Et comme si ce n'était pas suffisant, comme si je n'avais pas assez l'impression de m'étouffer avec mon ressenti... c'est lui, qui entre.

Sa chevelure désordonnée et ses yeux bleus assombris par les sentiments négatifs. Il avance de quelques pas, le visage transcendé de peine. Son regard se plante dans le mien, quand sans prévenir, il se laisse tomber à genoux devant moi. Ses bras m'enlacent de toutes ses forces. Il ne dit rien, mais je sens sa poitrine se soulever de façon totalement aléatoire. Son visage dans le creux de mon ventre, mes larmes coulent en silence et s'écrasent sur le tissu de son T-shirt qui recouvre ses omoplates.

J'entoure son corps douloureux de mes mains moites, l'une d'elle caressant ses cheveux sans cesse. Nous restons ainsi en quiétude pendant plusieurs minutes, laissant le rien nous soulager, comme si c'était nécessaire avant d'affronter la suite.

Et puis, ça vient. Il relève légèrement la tête. Ses pupilles sont dilatées, ses iris agrémentés d'un voile rouge.

Il a pleuré.

Pour la première fois, devant moi, pour moi, Arès a rendu les armes. Et d'une manière un peu poétique, sans le vouloir, sans le savoir, il l'a fait au même moment que moi.

Il se relève en titubant presque, essuie son visage d'un mouvement las, puis rejoint la grande fenêtre qui transmet la chaleur du soleil.

— Je suis désolé... finit-il par lâcher, les mains s'ancrant dans les poches de son jean noir.

Je ne dis rien et m'approche de lui sans pour autant envahir son espace.

— Moi aussi, chuchoté-je en regardant dehors.

Alors, il pivote pour mieux me regarder.

— Tout ça, c'est le bordel.

Il sourit vaguement, ce qui semble lui demander beaucoup de courage, et j'opine du chef.

— J'aimerais tellement que tout ça ne soit jamais arrivé, Noa. Ce truc, avec ton père... On aurait peut-être eu une chance de vivre notre histoire normalement.

Je déglutis en acquiesçant encore.

— Mais qu'est-ce que la normalité... ? chuchoté-je.

— Dans ce bas monde, la normalité n'est rien d'autre que la loi de la majorité...

Sa référence de Franck Ntasamara me fait doucement sourire.

— Mais qu'il est bon de s'en libérer... soufflé-je, plus pour moi-même que pour lui.

Il jette un œil à l'extérieur, puis se mord la lèvre en hochant la tête. Je vois dans son regard lointain qu'il rive vers le sol que la finalité de notre relation n'a plus qu'une possibilité. Ça m'effraie, et ça me dévore. Mais je n'ai plus la force de me battre, aujourd'hui.

— Tu n'es pas obligée de faire ça, assure-t-il, fébrile. Tu n'es pas forcé de me repousser.

Mes yeux me brûlent à nouveau à ces paroles et je les détourne de la source qui m'enflamme. Il l'a compris avant même que je ne lui dise, telle une âme-sœur.

— Je sais, avoué-je. Mais tu as une chance de t'en sortir, alors que moi, non.

— "Tout ce que je fais, je le fais pour toi ". C'est bien ce que tu comptes me dire ?

Je hoche la tête, le cœur en peine.

— Laisse-moi te répondre que je suis un grand garçon, dans ce cas. Je suis capable de prendre mes propres décisions.

Cette fois, un vrai sourire traverse mes lèvres.

— Oh, crois-moi Arès, je sais ça. Je crois simplement que tu mérites mieux que tout ce merdier.

Il humecte ses lèvres dans un geste nerveux, puis rompt la distance qui nous sépare en prenant mon visage en coupe.

— Et si je te dis que je t'aime ?

Ses iris accrochent les miens, suppliants. J'aimerais lui hurler que je l'aime aussi, et que vraiment, ce n'était pas prévu. Qu'il est bien la seule personne pour qui je voudrais lutter, si j'en avais encore le pouvoir. Que tout en lui m'attire, de ses yeux à la façon qu'il a de me regarder. Mais je sais aussi que tout cela serait d'un égoïsme profond. Je pense ces mots. Tout comme ceux que je viens de lui dire juste avant. Il mérite mieux, que tout ça. Mieux que ce que les autres nous réservent sans cesse.

Alors, juste pour ça, je ravale ce que j'ai réellement envie de lui crier, le palpitant sombrant dans une rageuse peine, ravalant l'injustice que j'éprouve de devoir laisser tomber la seule personne qui me sauve, pour le préserver, lui.

— Je t'aime aussi, soufflé-je doucement. Et c'est pour cette raison que je dois te laisser t'en aller.

Il secoue la tête, anéanti.

— Alors rien de ce que je pourrais dire, ou faire, ne te fera changer d'avis.

Je confirme en hochant la mienne.

— Il faut croire que non.

Ma voix étranglée le contraint à poser son front sur le mien dans un geste rassurant.

— Tu commets une erreur, Noa. Mais si c'est vraiment ce que tu désires... alors... je ne reviendrais pas.

Sa voix grave tremble légèrement. Il dépose un baiser sur mon crâne puis me détourne en remettant les poings dans les poches de son jean noir. Je le regarde s'en aller, la seule vue qui s'offre à moi étant désormais celle de son dos.

Je m'en contenterai.

De toute façon, je suis incapable d'affronter son visage à cet instant.

Il pose ses doigts sur la poignée de la porte et s'arrête un instant, comme pour s'assurer de son geste. Puis, après avoir exhalé longuement, finit par l'ouvrir.

Quand elle claque derrière lui, j'ai le sentiment que ma vie entière prend fin. J'ai tout perdu, pour de bon, cette fois.

Je me laisse alors glisser le long du mur, laissant couler les larmes qui m'incendiaient les yeux depuis si longtemps, et ne parvenant pas à m'arrêter avant des heures.




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