⋆ 𝐂𝐡𝐚𝐩𝐢𝐭𝐫𝐞 𝟏𝟑

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     Ambre se réveilla en sursaut. Son front ruisselait et ses doigts frémissaient. Elle balaya la pièce obscure du regard, respirant calmement pour apaiser son pouls. Rien autour d'elle ne lui semblait familier et pour cause, elle était encore à Strasbourg. En le réalisant, elle se tourna et constata l'absence de Dougal.

Elle prit son téléphone et l'alluma. Quatre heures trois. Méfiante, elle décida de quitter la chambre. Elle enfila un large sweat-shirt, sans doute dérobé à Stephen ou à Paolo, qui dépassait de sa valise et colla l'oreille contre la porte. Elle distingua de la musique, alors elle appuya doucement sur la poignée.

     La fumée planait sous la lumière tamisée. Sur la table basse, il y avait une boîte de crayons de couleur ainsi qu'une dizaine de feuilles griffonnées. Certaines étaient froissées au sol ou déchiquetées dans le cendrier. La mélodie qui s'échappait de l'enceinte, un titre de Björk, rappelait plus un trip hypnotisant qu'une berceuse. Le dos rond, renfermé sur lui-même, Dougal croquait dans son carnet à même le sol.

Ambre avança, la manche du sweat-shirt frôla les cordes de la guitare. Dougal, surpris, lâcha son crayon.

     — Tu m'as fait peur ! s'exclama-t-il, son cœur rata un battement.

     — Pardon, dit-elle en grimaçant.

     Son ami avait le teint blafard, les pupilles dilatées et des cernes violacés. Il lui proposa à boire, elle accepta un verre d'eau.

Dougal se leva, sa colonne vertébrale craqua et il se dirigea vers l'évier avec Ambre. Elle repéra deux boîtes de pilule sur la table. Curieuse, elle plissa les yeux pour lire le nom du produit, mais l'étudiant bouscula le meuble, pour faire tomber les cachets. Il lui adressa un sourire, qu'elle eut du mal à interpréter, puis il s'empressa de se rendre dans la salle de bain.

     Ambre ne bougea pas. L'état de santé de Dougal ne la concernait pas directement, pourtant, elle s'interrogeait de plus en plus. Qu'est-ce qui pouvait le troubler au point de se droguer à outrance ou prendre des cachets suspects ? Elle ne pouvait décemment lui en parler, mais ses coupures et ses brûlures la perturbaient. C'était la première fois qu'elle découvrait, à la lumière, la peau de Dougal. Elle n'y connaissait rien en cicatrices, elle avait déjà vu des scarifications semblables à des tatouages, or ici, elle n'était pas certaine qu'il s'agisse d'art. Pourtant, cela lui paraissait impossible qu'il puisse s'infliger, par lui-même, une telle douleur.

     Ambre posa son verre dans l'évier avant de s'installer dans le canapé. Elle observa les croquis, une poésie malsaine s'en dégageait, pourtant, elle trouvait ces œuvres d'une étonnante beauté. Dougal ne mentait pas en se qualifiant de « touche-à-tout », il était un artiste à part entière, un passionné.

     Le dessin sur lequel il travaillait avant qu'elle l'interrompe gisait sur le plancher. Elle le saisit. Des couleurs et des formes abstraites, mais plus elle le fixait, plus un genre d'angoisse l'étouffait. Elle était sans doute ici, la réponse à ses questions.

Subitement, Ambre réalisa que Dougal n'était toujours pas sorti de la salle de bain. Elle ne voulait pas le déranger, mais son inquiétude l'amena à toquer à la porte. Dougal la contenta d'un vague « c'est bon », indiquant qu'elle pouvait entrer.

     Elle le trouva assis sur le carrelage, dos à elle et face au miroir orné de taches de peinture. Elle avait besoin d'être auprès de lui pour comprendre. Elle songea à toutes leurs conversations ; est-ce que Dougal passait chacune de ses insomnies ainsi ? Son comportement différait de celui qu'il avait eu chez elle. Elle avait bien repéré une forme d'absence et sa difficulté à s'exprimer par moment, mais ignorait toujours la façon dont il avait fini sa nuit.

Ambre ne souhaitait pas s'improviser psychologue, mais partager ce qui la taraudait. Elle prit place sur le sol froid et posa sa tête sur l'épaule de Dougal. Elle perçut dans le miroir qu'il souriait.

     — Tu ne dors jamais ? commença-t-elle doucement.

     — Je suis une créature de la nuit.

     Cette plaisanterie l'amusa, mais elle garda son sérieux.

     — Écoute, je ne fais que penser à ces médicaments, j'ai besoin que tu me dises pourquoi tu les prends. Est-ce que ça a un lien avec tes difficultés à te confier ou à dormir ? Tu as l'air de souffrir et... je n'y connais pas grand-chose, est-ce que c'est du stress... de l'angoisse ?

     — Oui, souffla-t-il comme un aveu. Enfin... ce qu'on appelle trouble anxieux.

     Rassurée d'avoir une réponse honnête, Ambre posa sa main sur celle de Dougal, elle unit ses doigts avec les siens.

     — Si je peux faire quoique ce soit... Au moins, me renseigner sur le sujet...

     — Merci, mais non. Je ne veux pas... Ça ira. Tu es... Tu n'es pas... mon infirmière et... je gère, tout ça.

     Ambre embrassa sa joue. Elle espérait malgré tout qu'en le côtoyant, ses peurs et ses angoisses diminueraient. Il méritait de vivre dans la sérénité.

Les fleurs renaissent au printempsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant