⋆ 𝐂𝐡𝐚𝐩𝐢𝐭𝐫𝐞 𝟐𝟐

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     Quelqu'un toqua à la porte. Paolo eut du mal à distinguer les coups, tant le volume de la télévision était élevé. Il cria à l'intention de celui qu'il attendait pour lui dire d'entrer. L'écran diffusait les images d'une émission quelconque qui ne l'intéressait pas.

L'étudiant retira ses chaussures humides et rejoignit Paolo. Il posa sur la table basse le repas indien, ce qui poussa le plus jeune à retirer ses pieds du meuble. Il dévisagea son ami, le regard inexpressif.

     Nicolas avait les cheveux trempés, la pluie battait à l'extérieur, et ses vêtements étaient dans le même état. Lui, au moins, portait un tissu sur le torse : Paolo était avachi sur le canapé, vêtu d'un caleçon et de quelques miettes entre les bourrelets de son ventre. Il avait quitté son lit dans cette tenue et ne s'était pas habillé depuis, la morosité l'ayant accaparé. Son ami fut peiné de le voir dans un tel état. Il jeta son sac à dos sur le sol et s'installa à côté de lui.

     — Ça va ? demanda-t-il, connaissant la réponse.

     Paolo ronchonna, sans répondre réellement et attrapa la télécommande pour baisser le volume de la télévision. Il remercia son camarade pour les repas et se servit.

Nicolas le regarda manger, il lui semblait affamé. Il regrettait de ne pas avoir davantage forcé la main à Zoely et Nina pour qu'elles viennent, elles auraient su lui remonter le moral, mieux que lui.

     La veille, Paolo avait reçu un courrier de la mère de Sania, dans lequel elle avait joint un adorable mot. Elle le remerciait pour tout ce qu'il avait fait pour sa fille. Il y avait également des lettres inachevées de sa défunte amie. Lui qui pensait remonter la pente après l'enterrement, fut bouleversé derechef.

     — La vie continue, mon gars, tu peux pas te laisser abattre, dit maladroitement Nicolas.

     — Tu sais pas le mal que ça fait de perdre quelqu'un.

     — Non, c'est vrai... Mais tu as la chance d'être en vie, de pouvoir continuer d'honorer sa mémoire, de...

     — C'est ridicule, pesta-t-il. Parle-moi d'autre chose.

     Nicolas haussa les épaules et pour détendre l'atmosphère, proposa un affrontement sur FIFA. Paolo avait récupéré une console chez lui, mais il n'avait pas joué à quoique ce soit, penser à Sania l'avait changé en zombie. Un brouillard le recouvrait en permanence et les remords le rongeaient. Il aurait dû la garder auprès de lui, l'enlever à sa famille pour lui offrir une vie plaisante, l'entourer d'amis et de fête. Il pensait avoir agi égoïstement. Et lorsqu'il ne la pleurait pas, il devenait mauvais, lui en voulait d'avoir menti plus d'une fois, et de ne jamais lui avoir révélé la vérité sur son histoire avec Dougal. Or, il ne pouvait laisser parler la colère, alors il la pleurait, encore et encore.

     — Alors ?

     — Désolé, tu disais ?

     — Tu veux que je m'occupe des branchements et de la configuration ?

     — Je veux bien, répondit Paolo.

     Ces manipulations laissèrent le temps aux deux camarades de terminer leur repas — et à Paolo d'enfiler un tee-shirt. Ce dernier se doutait que Nicolas ne lui avait pas ramené un plat indien par hasard, et que l'idée venait de Nina. Il lui était reconnaissant.

     Les amis, confortablement installés, commencèrent à jouer et l'humeur de Paolo se détendit. Les instants passés avec Nicolas lui permettaient de mettre de côté son deuil. Il se surprit à rire à gorge déployée, ce qui ne lui arrivait plus depuis ces dernières semaines. De plus, il était ravi de mener d'un point le match contre son ami.

     — Et l'appartement ? Vous l'avez visité ?

     — Ouais, il est super ! répondit vivement Nicolas, ne perdant pas sa concentration. Il est spacieux, lumineux, il y a une grande chambre et un petit balcon.

     — Vous comptez le prendre ?

     — Carrément, on peut l'avoir pour mi-août. Zoely est impatiente, elle parle déjà d'acheter de nouveaux meubles... mais merde, comment tu l'as arrêté celui-là ?

     Paolo rit, mais ne se laissa pas déstabiliser, comptant mettre un autre but avant la mi-temps.

     — T'as eu des nouvelles pour ton école à Paris ?

     — Oui, répondit Paolo, hésitant.

     — Tu vas y aller ?

     Il mit le jeu en pause pour proposer à boire à son ami. Nicolas accepta une bière, mais refusait que Paolo se défile et ignore sa question. Alors, dès qu'il reçut sa boisson, il demanda à nouveau :

     — Tu vas y aller ou non ?

     — Je sais pas trop, je suis bien, ici.

     — Dans ce cas, va au bout de ta licence... Tu as quand même validé ta deuxième année.

     — Oui, mais non, je sais pas. J'ai envie de cette école, mais... j'ai d'autres choses en tête.

     — Si Nina te suivait, ça changerait quelque chose ?

     Paolo relança la partie furtivement, mais Nicolas lui enleva la manette des mains. Ces interrogations concernaient son avenir et il ne voulait pas que son ami regrette ses choix.

     — En vrai oui, peut-être, avoua Paolo, incertain.

     — Ou bien la décision concerne quelqu'un d'autre ?

     — Non. J'ai tourné la page, j'aime Nina plus que tout et je veux pas la perdre en m'engageant avec elle dans une relation à distance. Mec, elle m'a emmené à Londres alors qu'on sortait ensemble depuis un mois ! Elle est toujours là pour moi, elle m'a accompagné à l'enterrement de Sania, car elle savait à quel point j'avais besoin d'une personne qui m'aime à ce moment. Elle est... presque trop bien pour être réelle. Alors, sois cool, me parle pas d'Ambre à chaque fois que j'ai un choix à faire.

     Et Paolo croyait à tout ce qu'il disait à propos de Nina, il n'en doutait plus à présent. Elle n'était peut-être pas celle qu'il attendait, mais le destin l'avait conduit jusqu'à elle.  

Les fleurs renaissent au printempsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant