⋆ 𝐂𝐡𝐚𝐩𝐢𝐭𝐫𝐞 𝟒𝟎

48 10 5
                                    

     Ce dimanche soir avait une saveur amère. Ambre n'était pas sortie de sa chambre, n'avait pas mangé, ni fait sa lessive. Entendre ses colocataires à travers sa porte la crispait. En rentrant la veille au matin, elle les avait ignorées, elle ne pouvait rien faire de plus. Elle espérait qu'un miracle se produise dès le lendemain, à son retour à l'université.

     Ambre vida son sac à dos pour faire de la place pour son ordinateur. Un carnet tomba au sol. Son cahier d'idées, celui qu'elle avait rempli avec Dougal. Elle ne l'avait pas ouvert depuis ses vacances avec lui, il traînait dans ses affaires depuis ce temps.

Elle le feuilleta, retrouvant toutes les ébauches et écrits inachevés. Elle se demandait pourquoi elle ne finissait jamais ses projets, certaines idées n'étaient pas mauvaises. Parfois, il y avait seulement des descriptions de plan qu'elle voulait tourner, avec une chanson. Pendant longtemps, elle avait eu pour habitude de noter les techniques de réalisation ou de montage qu'elle appréciait dans les films. Elle espérait les reproduire ou s'en inspirer, mais qui l'épaulerait dans cette aventure ? Paolo avait disparu de sa vie, pas une visite, ni même un message, rien que son prénom écrit sur la carte qui accompagnait le bouquet de fleurs. Elle avait accepté son abandon.

     Ambre tourna les pages, jusqu'à celle où il était écrit en lettres capitales « UNE FLEUR POUR L'ÉTERNITÉ ». Et toutes celles qui suivaient étaient les pages les plus mal soignées. Particulièrement la dernière qui contenait des ratures, des phrases écrites à la verticale, des dessins au stylo-bille et des flèches dans tous les sens.

Rien de ce contenu n'avait été écrit de sa plume, cette calligraphie mélangeait les lettres cursives et scriptes. Ce n'était pas son projet, c'était leur projet. La parfaite rencontre des idées absurdes de l'un et les propositions sensées, mais amusantes, de l'autre. Une représentation presque idéale de leur amour et de ce qu'ils avaient partagé ensemble.

     Ambre lut l'entièreté des écrits, elle se souvenait exactement de chaque rature et de chaque croquis. Elle se remémora Dougal, se servant de son dos comme support pour noter des dialogues essentiels, alors qu'ils longeaient le lac Léman. Il avait montré un tel investissement dans ce projet qu'il aurait pu réclamer ce carnet pour le continuer seul.

Tout en bas de la page, une phrase était notée en allemand. Ambre doutait que son auteur n'ait pas trouvé les mots français pour l'écrire.

« Du bist es die ich für alle Ewigkeit will. Ich liebe dich. »

     Ambre essaya de rester impassible, mais son cœur s'emballa. Elle tapa son poing sur parquet. Pourquoi les souvenirs s'obstinaient-ils ? Pourquoi fallait-il que Dougal soit bloqué dans sa mémoire ? Elle était certaine qu'il lui avait jeté un sort. Personne ne l'obsédait à ce point. Alors, pourquoi lui ?

Ambre ferma le carnet et le fit voler à l'autre bout de la pièce. Elle réussit à se maîtriser, reprenant son calme. Elle saisit la bouteille de rhum qui avait roulé sous son lit et s'autorisa une gorgée. Peut-être deux, après tout, personne ne vérifierait. Apaisée, elle continua le tri dans son sac à dos. Comme si la cruauté du destin s'acharnait, elle mit la main sur une petite boîte. Ne la reconnaissant pas, elle l'ouvrit.

     Le collier offert par Dougal la scrutait, il ne demandait qu'à vêtir son cou. Ambre le sortit délicatement, veillant à ne pas l'abîmer. Elle n'éprouvait aucune douleur en l'observant, elle ne ressentait pas l'envie de l'envoyer rejoindre le carnet. Il était précieux.

Avec minutie, Ambre retira la chaîne argentée du pendentif et la rangea dans la boîte. Elle sortit de sa valise sa deuxième paire de Converse et retira un lacet. Enfin, elle le passa dans le bijou et l'attacha à son cou, avant de croiser son reflet dans le miroir.

Les fleurs renaissent au printempsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant