⋆ 𝐂𝐡𝐚𝐩𝐢𝐭𝐫𝐞 𝟐𝟔

48 13 6
                                    

     À Berne, la foule attendait devant une salle de théâtre. Les affiches sur le bâtiment annonçaient la représentation d'une pièce inédite, Dionysos : Die Reben der Hölle. Beaucoup d'étudiants semblaient attirés par cette réinterprétation de la mythologie grecque et le jeu de la troupe qui gagnait en popularité, en France, en Belgique et en Suisse.

     Dans les loges, les comédiens se préparaient. Certains réajustaient leurs costumes, d'autres révisaient leurs textes. Ils montaient sur scène dans une trentaine de minutes pour jouer pour la première fois leur pièce, traduite en allemand, devant le public bernois. Leur concentration dans le brouhaha ne fut pas perturbée par un homme, la cinquantaine et la carrure imposante, qui approcha.

Il portait une veste de smoking, une longue barbe grisée ainsi qu'une paire de lunettes, paraissant minuscule sur son nez proéminent. Il tendit la main à un garçon, dont l'accoutrement était en lambeau et le salua avant de se présenter :

     — Mikaël Janssens, producteur et réalisateur de films indépendants à Bruxelles. Je me permets de venir à vous, car je souhaite m'entretenir avec le garçon qui a le rôle de Prosymnos.

     — Je vois, répondit son interlocuteur. Erika !

     Une femme s'avança, ses cheveux châtain clair étaient coiffés de manière stricte. Mikaël serra sa main puis répéta son monologue.

     — Ah, Dougal, cracha-t-elle.

     — C'est ça ! Écoutez, j'ai régulièrement échangé avec lui et je suis son parcours depuis peu. Je suis venu lors de vos répétitions et représentations en Alsace. Vous voyez, ce petit a beaucoup de potentiel. Il m'avait expliqué vouloir se diversifier et faire carrière dans le cinéma. Son jeu me touche et je crois, non, je suis certain, d'avoir un rôle idéal pour lui dans mon prochain film. Est-ce que je peux le rencontrer ?

     — Non, il nous a fait faux-bond.

     Monsieur Janssens remarqua le regard noir d'Erika sur lui. Il ne savait pas comment rebondir.

     — Après, si vous avez envie d'bosser avec un type sur qui on peut pas compter, c'est votre problème. Vous pouvez toujours l'appeler, peut-être qu'il vous répondra.

     Erika se doutait que le cinquantenaire possédait déjà de quoi joindre Dougal, mais elle nota quand même son numéro. Elle plia le papier avant de la donner à Mikaël et d'ajouter :

     — Nous, on l'a déjà appelé une vingtaine de fois.

     — Hum, merci à vous.

     L'homme quitta les loges, d'une démarche assurée. Erika roula des yeux. Quel culot, songea-t-elle. Le garçon en guenilles, qui avait écouté la conversation, revint auprès de sa collègue.

     — Je comprends pas, t'étais pas censée passer l'aprem' avec lui et l'amener, pour t'assurer qu'il nous fasse pas un coup pareil ?

     — Il a préféré prendre sa caisse, j'allais pas l'en empêcher ! Bref, c'est pas mon problème. En tout cas, j'espère que ce Janssens l'appellera pas et qu'il s'en mordra les doigts.

     Aucune lueur n'émanait de l'appartement en désordre. Les livres jadis rangés dans la bibliothèque jonchaient le sol, les toiles vierges étaient brisées, les cartons aplatis et éventrés et de la peinture sang-de-bœuf dissimulait le mur couvert de Post-its. Le son d'une guitare désaccordée, associée à des sanglots étouffés, accentuait l'ambiance lugubre. La chambre était aussi sombre qu'une nuit sans étoile. Sur le sol se trouvaient des bouteilles, des papiers chiffonnés, un nombre indécent de mégots et de cachets écrasés.

Les fleurs renaissent au printempsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant