Chapitre 10 - Partie 2 - Étann

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James-Karl s'élance à toute vitesse au signal de son compagnon et nous suivons la trace olfactive de concert. Je n'ai aucune idée de ce dont il s'agit, mais je cours à travers les feuilles et les branches comme si rien ne pouvait m'arrêter.

Je reste dans le sillon de James-Karl quand soudain, l'odeur se fait plus forte et devient de plus en plus irrésistible. Lorsque je lève les yeux, Awu nous rejoint et nous galopons tous trois à la même vitesse, prêts à attaquer dès que l'occasion se présentera.

Un cerf.

Je suis galvanisé. L'avidité me gonfle la poitrine. Je ne ressens pas la douleur de l'effort physique et tous mes sens sont saturés, alarmés. Mes poumons ne devraient pas pouvoir supporter cette cadence, pourtant, je suis en pleines possessions de mes moyens. Je le sais. Nous allons le capturer.

Je ne lui laisserai aucun répit.

— Sur la droite, commande James-Karl.

J'exécute.

J'évite et saute par-dessus un vieux saule déraciné. Awu dévie de son chemin pour forcer l'énorme cerf à se décaler de sa voie et slalomer à travers les pins. Où allons-nous comme ça ? Les sabots qui claquent sur la terre résonnent dans mes tempes. Leurs vibrations font écho au vrombissement dans ma poitrine.

Je suis traqueur.

Le bois craque et la terre vole sur  notre passage. L'odeur des buissons boisés et l'adrénaline me transcendent. J'accélère davantage et mon corps s'adapte sans problème. Je bondis sur une branche un peu plus haute et retombe par terre, mes griffes se plantant au sol sans que je leur commande de le faire. Si je saigne, je ne le sens pas.

— Étann, tu le contournes par le nord. Tu l'accules en flanc de montagne.

La symbiose de nos mouvements répond à son ordre. J'exécute la consigne à l'instinct. Quand le cerf court en parallèle de la roche et que le sentier se resserre, un puissant assouvissement se niche au creux de ma poitrine.

C'est terminé pour lui.

Je sens plus que je ne vois Awu s'élancer et lui barrer le passage . Le cerf s'emmêle les pattes et essaye de trouver une échappatoire, mais James-Karl est là aussi. Sa lance file devant mes yeux et touche le cerf en plein cœur.

Je ne suis même pas essoufflé et je sens encore mes muscles grésiller de plaisir.

Encore...

Mes mâchoires me démangent. Je suis soudain affamé par l'adrénaline. Je suis obligé d'étirer mes lèvres pour laisser mes canines sortir. C'est aussi désagréable que délicieux. Je tombe à quatre pattes. Que se passe-t-il ? Les souffles saccadés et létaux du cerf derrière moi me rendent nerveux. Mes narines se dilatent et je me cambre vers l'arrière.

J'ai l'impression de vriller.  James-Karl est soudain devant moi et m'attrape par le bras. Je frémis.

— Calme-toi. C'est un sentiment assez perturbant quand on est un nouveau loup. La traque nous appelle. Et quand c'est terminé, il devient dur de se contenir.

Je laisse échapper un souffle brusqué.

— J'ai envie de planter mes crocs dans sa gorge. Ugh !

Je me dégage de sa prise et m'enlace de mes bras.

— Résiste. Nous ne sommes pas des barbares. Nous ne tuons pas les animaux avec nos canines. Résiste.

Je me faufile en une seconde derrière James-Karl d'une rapidité inquiétante. Awu est devant moi, en une seconde, pour m'en empêcher.

Je dois... le mordre.

L'odeur me rend fou.

— Étann, il est mort... Laisse cet animal, ce serait lui manquer de respect que de...

— Arrrrrrgh...

Mes griffes viennent d'émerger, deux fois plus longues que d'habitude. Je les plante dans le sol. Que m'arrive-t-il ?

— Assez !

Tout à coup, tout s'arrête. La sensation de rage assoiffée me quitte et je ressens le besoin de me soumettre. Une main invisible appuie sur ma nuque pour m'agenouiller devant James-Karl. Néanmoins, je parviens à canaliser l'impulsion, car cela me permet d'oublier cette avidité à traquer et tuer. J'ai compris dorénavant que c'est son statut d'Alpha qui permet ça. J'y suis apparemment très sensible, m'a dit Lucy.

— Je n'aime pas user de mon autorité, mais je n'ai pas le choix. Tu apprendras à gérer cette ivresse. Les chasseurs y passent tous. Nous avons beaucoup de responsabilités sur les épaules, mais la soif de tuer ne peut pas nous laisser perdre la raison. Sinon, nous deviendrons féraux. Sauvage. Tu dois résister.

— Lib...Libère-moi, pantelai-je.

Il accède à ma demande et je secoue la tête, bouleversé. Mon esprit commence à s'éclaircir et mes muscles se décrispent. Awu s'avance vers moi et vient me lécher la joue.

Pendant quelques instants, je n'étais plus vraiment moi. C'est effrayant.

Quand je me redresse, James-Karl ne me regarde plus de son œil noir et glacial. Il a le menton relevé et ses pupilles sont si dilatées que j'ai du mal à discerner l'humain en lui.

Le plus grand chasseur lycan que la meute Roé n'est jamais connu. Il est là. Devant moi.

Impénétrable...

Il prend sa discipline très au sérieux et son rôle à cœur. Sa mâchoire se carre et je comprends qu'il est sincère quand il dit :

— Bon travail. Tu as obéi à ton chef de chasse et tu nous as aidés à ferrer notre proie.

Je hoche la tête ne sachant pas comment prendre le compliment de sa part. Awu jappe de joie et je promène ma main dans son pelage doux.

— Maintenant, il faut le ramener cerf au village, ajoute James-Karl.

Cet énorme animal ? Mais comment compte-t-il faire ?

Il comprend mes interrogations à mes traits.

— Il nous arrive de passer parfois une journée à rabattre le gibier. Ça nous prend plus de temps que la chasse elle-même. Là-bas, il sera dépecé et la viande découpée. Le reste servira pour nos vêtements, nos tissus, le cuir est très précieux.

J'acquiesce de nouveau et les observe, Awu et lui, s'activer pour préparer le convoi de retour. Ce cerf pèse pas loin de deux cents kilos à vue d'œil. Il me semble impossible de déplacer sa carcasse. Quand James-Karl se baisse pour hisser l'animal mort sur son dos, je suis bouche bée.

Monsieur-muscle, en puissance. C'en est presque ridicule.

Cette force décuplée est tout bonnement incroyable. Je repense au sac de farine que j'ai soulevé la dernière fois sans même vaciller.

Un hurlement déchirant s'élève tout à coup de la forêt à l'ouest et me bloque la respiration. Awu gronde avec férocité, en position d'attaque.

— Loraly ! s'écrie James-Karl.

[À paraître en 2025]D'OR ET DE JAIS - Tome 1 & 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant