Chapitre 6 - Partie 4 - Étann

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— À ton avis, pourquoi Awu ne m'a pas laissé mourir ?

— Nous ne savons pas, soupire Ilan. Ce n'était jamais arrivé avant.

— Je ne parviens pas à m'ôter ces images de la tête. Il... Il m'a attaqué avec tant de rapidité. Je n'ai rien vu venir. C'était inhumain, effroyable...

Je ferme les paupières une seconde.

— Je suppose que c'est stupide, mais James-Karl était là, tu comprends ? Et... il.. Il l'a regardé faire. Il ne m'a pas aidé. C'est...

Ilan est sur le point de répondre et je l'arrête d'une main.

— Non. Laisse tomber. C'est injuste de ma part de te dire ça alors que vous détestez les humains.

— Pour ce que ça vaut, tu es un humain décent et très sympa, assure-t-il en m'invitant à m'asseoir au sol. Je l'ai su dès que je t'ai vu. Je ne connais pas la raison pour laquelle Awu ne t'a pas offert la liberté de mourir. Peut-être que tu aurais préféré, mais je suis sûr que tu trouveras le bonheur dorénavant. S'il ne t'a pas tué, il y a forcément une explication.

— Pourquoi ? Pourquoi vous détestez les humains ?

Ilan couine puis écarquille les yeux. Je suis surpris. Visiblement, même les loups peuvent parfois avoir du mal à gérer leurs émotions.

— Cela remonte à la nuit des temps, chaque humain qui a découvert notre existence a essayé de nous décimer. Et ce depuis toujours. C'est... Ils sont chasseurs aussi, mais pas simplement pour se nourrir. Ils tuent dès qu'ils le souhaitent. On nous a constamment appris à fuir un humain. Il en va de notre survie. Notre Veilleur à Yaël, Yann et moi, est mort de leur main. C'est ce jour-là qu'Automne est arrivée pour Yann. Il était avec notre Veilleur, Yacov, et ils sont tombés nez à nez avec les humains à fusils. Automne est apparue de nulle part alors que Yann restait seul devant eux. Yacov était mort... et Yann allait y passer. Elle les a tous tués puis s'est enfuie avec Yann sur le dos. Elle était blessée et Yann n'était pas en meilleur état. Mais elle l'a sauvé. Quand ils ne sont revenus que tous les deux, on a compris. Ulla n'est plus sortie de notre cabane durant des mois.

J'ai un nœud dans la gorge. Ce serait mentir que d'avancer que les humains ne portent pas leur lot de cruauté. Une famille sans père... La perte d'une figure aimante.

Je sais ce que c'est.

Moi-même, ma mère me manque tous les jours.

— Je suis désolé, Ilan. Ton... Veilleur, si je ne fais pas erreur, ne méritait pas ça. C'est une chance qu'Automne soit arrivée pour Yann.

— Nous sommes des loups. Les compagnons ne peuvent peut-être pas se transformer en humains et nous en loup, mais nos âmes sont liées. Nous sommes les mêmes. Peu importe notre enveloppe charnelle.

Ilan relève le menton et je ne peux m'empêcher de me dire que chacun des lycans que j'ai rencontrés jusqu'ici est fier de ce qu'il est et de leur clan. Soudés comme des frères.

Vais-je ressentir ça un jour ?

Je ne saisis pas encore précisément la chose, mais n'est-ce pas ce que tout le monde cherche ? Une famille ? Un logis ? Un endroit où on se sent complet et soi-même sans craindre d'être jugé ?

— Tu comprendras.

Une partie de moi l'espère, mais l'autre ressent l'ombre et l'aura étouffante de cet Alpha ; James-Karl. Je ne pense pas qu'il m'accordera une place dans cette meute. Je suis certain qu'il voit en moi une trahison. Il ne me fait pas confiance. Moi-même, j'ai du mal à savoir ce que je veux. Rester, partir ? Me venger ?

— Je ne crois pas que cela sera possible un jour, réfuté-je.

— Je te l'ai dit tout à l'heure. Tu es Lycan. Ta transition n'est pas tout à fait terminée, mais tu as déjà tout du loup. Tes sens se sont décuplés, ton corps s'est adapté. Tu ressens l'Empreinte et bientôt, tu verras, tu n'auras plus besoin de dormir autant qu'avant. Tu seras un « vrai » lycan comme tu dis. Un chasseur même. C'est ce que les aînés ont décidé pour ton avenir.

— Comment voulez-vous que je sois un chasseur ? Regarde-moi. Je ne suis pas musclé comme... James-Karl. Je n'ai pas la faculté de traquer ou de tuer quoi que ce soit. Je n'y arriverai jamais.

Ilan rigole à ma réplique et ça me vexe.

— James-Karl est le plus grand chasseur que les Lycans aient jamais connu. Ne te compare pas à lui. Il est né pour ça. Il a survécu à des grizzlys, des panthères des neiges et même des loups devenus féraux.

— Féraux ?

— Oui, un loup sans meute, souvent banni, peut devenir féral ou sauvage, si tu préfères. Cela veut dire qu'il a sombré dans la folie. Il ne reconnait plus sa famille, ses proches et même parfois son âme sœur. Il arrive aussi que nous devenions déviants si l'on a enduré un traumatisme très grave. Ces lycans vivent habituellement en forêt, seuls. C'est très rare qu'ils survivent, mais il se peut qu'ils nous attaquent quand on les croise. Ils n'ont plus d'Empreinte avec leur meute.

Un frisson me remonte le long de l'échine. Si j'échoue en tant que chasseur ou s'ils découvrent que je suis un Oméga, vont-ils me bannir ? Me laisser devenir sauvage ? Je comprends mieux pourquoi Lucy disait qu'il y avait des choses bien pires que la mort.

La panique m'étreint de nouveau.

— Nous allons t'entraîner. Il nous reste quatre lunes pour ça. Yann pourra t'en dire plus, mais chacun des chasseurs a un poste à tenir dans l'unité Roé. Allez, debout. Aujourd'hui, commence ton apprentissage !

Je ressens l'excitation et l'enthousiasme à travers l'odeur d'Ilan, mais je ne la partage pas. Je me lève et le rejoins.

— Awuuuuuuuuuuuu !

Son hurlement résonne autour de nous et quand il a terminé. Il me dit :

— Suis-moi.

— Qu...

Je n'ai pas le temps de finir qu'il s'engouffre dans la forêt. Par automatisme, je tente de le suivre et le pourchasse. Mes jambes s'activent seules et alors qu'il se faufile entre les arbres et qu'il bondit par-dessus les troncs échoués au sol, je fais de même. Peu habitué à cette rapidité, je suis surpris par les branches et les feuilles qui me fouettent le visage. Ilan ne ralentit pas. Il court vraiment très vite.

— Ilan ! Attends !

Le concerné rigole à pleine gorge.

— Attention la rivière ! crie-t-il.

Il saute et la traverse sans problème. Je ne réfléchis pas, prends mon élan et bondis de toutes mes forces. J'arrive trop loin et roule dans la terre. L'odeur de celle-ci me remplit les nasaux et c'est un délice. Je me relève et repars de plus belle pour le rattraper.

Mon souffle se coupe quand je suis soudain plaqué au sol, mes jambes dans un étau de fer. Nous dérapons et faisons voler la verdure et la mousse autour de nous. Nous nous stoppons au pied d'un grand pin et Ilan me tient dos contre terre.

— Perdu !

[À paraître en 2025]D'OR ET DE JAIS - Tome 1 & 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant