Chapitre 6 - Partie 5 - Étann

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— Perdu !

Ses yeux brillent d'espièglerie et je sens à son odeur qu'il est le plus heureux quand il joue et court dans la montagne. Le sentiment m'exalte et un sourire se dessine sur mes lèvres.

— Tu ne m'as expliqué les règles du jeu.
— Nous sommes des loups, Étann. Tu te doutes bien que nous aimons nous pourchasser pour s'amuser.
— Ce n'était pas amusant, dis-je en boudant alors qu'il me libère.

Je me frotte les poignets.

— Tu ne mens pas aussi bien que tu le penses.

Je m'apprête à répondre quand je me rends compte qu'autour de nous la forêt est plus dense et l'odeur plus forte. Nous avons couru si vite que nous nous sommes éloignés du village.

— Ne sommes-nous pas en danger ici ? demandé-je.
— Ne t'inquiète pas. Nous sommes sur notre territoire. Notre odeur est partout.

Il illustre son propos en touchant un arbre de sa paume.

— On va en profiter pour monter jusqu'au col et trouver du Lapis Lazuli pour Yaël. Ensuite, nous rentrerons manger un bout. Tu me suis ?

Je ne peux m'empêcher de sourire à pleine dent avant de hocher la tête. La montagne m'a tellement manquée. Je suis incroyablement curieux de voir ce que mes nouvelles capacités vont m'offrir comme expérience. La forêt n'aura aucun secret pour moi et je peux y passer autant de temps que je le souhaite sans craindre pour ma vie.

C'est fantastique !

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— Respire profondément... Étire la corde entre ton index et ton majeur.

Ilan est derrière moi et me redresse le coude. Je ne peux m'empêcher de trembler. L'arc se tend mais n'est pas stable.

— Calme-toi, murmure-t-il. Tu es trop dans ta tête. Tu réfléchis trop.

La croix sur l'arbre visé n'est pas si loin, mais je ne l'ai encore jamais atteinte de ma flèche. J'expire lentement.

Je peux le faire.

Quand je lâche tout, la flèche vole et rate le tronc du pin. De nouveau.

Je baisse les bras.

Plus la journée passe, plus je me demande si je ne vais pas rester enfermé dans la cabane de soin le jour où James-Karl souhaite que je les rejoigne près du grand chêne. Je suis mauvais partout.

Nous avons lutté un peu plus tôt avec Ilan. C'était également un échec. Il a les capacités d'un homme en pleine forme qui a passé sa vie à se bagarrer avec ses frères et courir dans la nature. Il n'est pas aussi large que James-Karl, mais il fait sa taille et reste raisonnablement musclé.

À côté d'eux, j'ai l'impression d'être un faiblard.

J'ai pourtant toujours été dans la norme. Je n'ai jamais eu à rougir de mon physique. Mais les loups sont abusivement costauds et découplés. Yann est un buffle et Yaël a les épaules très larges, malgré sa fine taille.

Pffff... Y a rien à faire.

— Réessaye.

Je m'exécute et retiens du mieux que je peux la frustration qui est en train de se transformer en colère. Encore raté. Cette fois, un grondement s'échappe de ma gorge et de ma poitrine.

— Tu vas quand même pas me mordre, hein ? demande-t-il, en levant un sourcil.
— Je n'y arrive pas, Ilan. Je n'ai pas l'habitude d'être aussi incompétent.
— Tu n'es pas concentré. Tu dois laisser tes sens prendre le dessus. Maintenant que tu es lycan, tes réflexes ont augmenté et ta vue est inimitable. Utilise-les.
— Je ne sais pas les utiliser.
— Ce n'est que ton premier jour d'en...
— Ça ne changera rien ! Je ne veux pas être chasseur de toute façon. On me l'a imposé. C'est... c'est injuste.
— Je sais, je sais, mais tu verras, ça va s'arranger avec le temps. On commence tous quelque part.

Mes gencives me font mal et j'en ai assez de toutes ces paroles. Je veux qu'on me foute la paix.

— Non. Ça suffit ! Je rentre au village.
— Tu n'iras nulle part.

La voix grave et imposante de James-Karl nous interrompt et je me crispe de tout mon être.

Encore lui !

Mes lèvres se retroussent. Le bois et la pluie saturent mon odorat tandis que son ton me cloue au sol. Il avance et vient se poster devant moi, le regard perçant. Je serre les dents.

— Tu n'as aucune idée de l'entraînement et de la détermination qu'il faut aux loups de notre meute pour avoir l'honneur et l'espoir de devenir un jour chasseur de l'unité Roé.

Il me déteste. Ça se voit comme le nez au milieu de la figure. Il me trouve pathétique.

— Tu as une opportunité incroyable de démontrer ta force et ton dévouement au clan en le nourrissant et tu crois qu'avec deux pauvres tentatives au tir à l'arc, cela suffit à te laisser tranquille. Je me suis engagé auprès des aînés pour toi. Ilan prend la peine sur son temps libre de t'aider et tu voudrais déjà t'échapper. Tous les humains sont-ils pareils ? Lâche et paresseux.

Je le fusille des yeux. Quelque chose en moi a envie de pleurer. Ses tatouages aux bras brillent sous le soleil du crépuscule.

Il ne sait rien de moi...

— Ilan, tu rentres au clan, exige-t-il. Umma t'attends. Quant à toi, tu restes là. Tu vas envoyer ces flèches le nombre de fois nécessaires jusqu'à toucher 5 fois d'affilée le centre de cette marque, ordonne-t-il, en montrant l'arbre. Awu restera là pour te surveiller. Donc inutile de penser ne serait-ce qu'à t'asseoir pour te reposer. Demain matin, à l'aube, tu reprendras avec Ilan.
— JK, il a eu une grosse j...

James-Karl est sur le point de rétorquer mais je le devance :
— C'est bon, Ilan. Je reste.

Il n'est pas question que le seul ami que j'ai ici ait des ennuis car il prend ma défense. Je ne suis pas aussi pathétique que j'en ai l'air. J'ai un minimum de dignité. Et si cela veut dire passer la nuit ici, je le ferai.

Ça ne changera rien pour moi, mais cet homme a l'air d'avoir le cœur aussi dur que la pierre. Et ça paraît être une condition sine qua non pour que j'intègre  cette stupide unité Roé.
Awu s'approche de moi et son flanc touche ma cuisse.

— Enfin une réponse sensée... déclare James-Karl en hochant la tête. 5 flèches au centre, pas une de moins.

Il tourne les talons et s'évanouit entre les branches et les feuilles de la forêt.

Je récupère l'arc et les flèches en marmonnant et serrant les poings.  La cible dessinée dans l'écorce semble me narguer.

Je peux le faire.

Je vais le faire.

[À paraître en 2025]D'OR ET DE JAIS - Tome 1 & 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant