Chapitre 4 - Étann

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Les lycans présentent un statut dès leur enfance. Alpha, Beta ou Omega. Cela afin de définir leur place et leur statut social dans la meute. Les seules pouvant enfanter sont les Omega-femelles, reléguant les Omega-mâle au rang « d'anomalie », car incapables de se reproduire.

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Les nuits sont les pires.

Mes yeux me font souffrir, même lorsqu'ils sont fermés. J'ai la tête dans un étau. Parfois c'est comme une braise qui explose dans mon crâne. J'ai l'impression que mes vaisseaux explosent. Je ne sais pas expliquer pourquoi. Les odeurs me submergent. Tout sent plus fort autour de moi. Le bois, la nourriture, les onguents qui trônent sur la table...

Je suis fiévreux et quand c'est insupportable, il m'arrive de déchirer le tissu du lit sous l'intensité du mal-être. Mes ongles lacèrent ma peau si je serre le poing. Le plus étrange est qu'au petit matin, l'entaille a disparu. Mes connaissances au niveau médical sont assez restreintes, mais pas au point de croire qu'il est possible de guérir le temps d'une simple nuit. Ma blessure à l'épaule est quasiment guérie. Celle sur ma hanche, elle, est plus longue. Néanmoins, je n'aurais jamais dû survivre à ce genre de blessure.

Le garçon à la voix grave n'est pas revenu me visiter.

Pourquoi a-t-il réagi comme ça quand il a vu mes yeux ?

En réalité, je n'ai vu personne depuis des jours. À la fois, ça m'arrange, mais d'un autre côté, je veux savoir qui dépose de la soupe et de la viande bouillie quand je suis endormi. Je me demande ce qu'il va advenir de moi. Je voudrais m'enfuir mais je ne suis pas en état de le faire.

Je ne comprends rien. J'ai l'impression de ne rien contrôler. Ne pas savoir pourquoi on me garde enfermé ici n'aide pas. J'en fais des cauchemars la nuit. Ils sont plus réels que jamais. Quand je me réveille, pantelant et ruisselant de sueur, la lune, par la fenêtre, semble briller de mille feux. Elle m'éblouit. Je n'avais jamais remarqué qu'elle était aussi grosse. Je me demande si ça vient du fait que nous sommes à haute altitude.

Il y a deux jours de ça, j'ai été surpris d'entendre le hurlement des loups. Je les ai entendus si distinctement que j'ai eu l'impression que leur chant émanait de moi, de l'intérieur de ma cage thoracique. J'en ai laissé échapper des couinements de nervosité. Je n'arrêtai pas de me retourner dans mon lit, incapable de trouver une position confortable. Mes mâchoires et mes dents me tiraillaient la bouche.

Je dois être dans un état minable. Je ne me suis pas vu dans un miroir depuis le jour de mon attaque. Par chance, il y en a un dans un coin de la pièce. De ma paillasse, on ne le voit pas, mais quand je suis allé vomir hier, je l'ai vu. Je pose un pied à terre et ma tête tourne quelques secondes. Je ne sais pas à quoi m'attendre et quand mon reflet s'offre à moi, mon souffle se coupe.

Qui suis-je ?

Deux pupilles, luisant d'un ton d'or chaud et d'éclat vermeil, me fixent sans ciller. Mes lèvres tremblent sous la révélation. Mes iris n'ont plus rien de ceux d'un humain. On dirait les yeux d'un... animal. Mes traits se sont durcis et mes joues sont creusées par le manque de nourriture. J'ai les cheveux ternes et gras. Je ne connais pas cet homme. On voit bien que j'ai été attaqué pour mourir. Mais je suis vivant. Et ce n'est pas possible.

Ce n'est pas normal.

Je tends une main fébrile vers la bassine d'eau et y attrape un linge mouillé pour effacer les dernières traces de sang. Je dois fuir ! Il y a quelque chose qui se trame ici. Quelque chose d'anormal. Je ne sais pas ce qu'on m'a fait, mais je n'ai plus rien. J'ai perdu quelque chose quand ce loup m'a mordu. J'ai peur de deviner ce que c'est.

La porte derrière moi s'ouvre et je sursaute. Quand je me retourne, je reste figé. L'homme et le loup qui sont là, devant moi. Je les ai déjà vus. C'était cet homme qui... qui... était là quand je me vidais de mon sang dans la forêt. Quand je croise son regard, il s'éclaire d'un rouge vif, écarlate. Quelques secondes plus tard, la lueur a disparu. Ne demeure que son visage dur et son air dangereux. Il me toise avec une aura qui pèse tellement que j'ai envie de baisser les yeux.

Qu'est-ce qui m'arrive ?

Je ne peux plus bouger et la pression dans ma tête revient en puissance. Comme si la gravité ne fonctionnait plus correctement. Comme si ce qui m'attirait dorénavant c'était... lui. Son aura m'engloutie et la température de mon corps augmente encore.

Ce n'est que parce qu'il couine que je remarque le loup qui m'a attaqué. Un frisson me traverse l'échine et je suis glacé quand l'animal vient frotter son flanc contre mes jambes.

— AWU ! gronde l'homme.

L'odeur de chien mouillé, de métal et de musc se mêle à celle puissante de la mousse, des pignes de pins et de la pluie. Comme une averse d'automne dans la forêt Gymoli. Mon père m'y emmenait parfois petit. C'est ce qui a institué l'amour de la montagne en moi. Seulement, je ne suis pas dans le bois derrière mon village, je suis dans une cabane abandonnée avec un homme dangereux.

Le loup, au ton de reproche de son maître, me met un coup de museau derrière le genou puis repart à ses côtés.

Je me force à relever les yeux pour étudier qui est cet homme quand celui-ci grogne. Tel un grésillement dans ma nuque, je m'exécute et regarde de nouveau le sol.

Pourquoi est-ce que je ne peux pas relever la tête ?

Mon cœur tambourine dans ma poitrine et je surchauffe. Je voudrais qu'il débarrasse le plancher. L'odeur qui sature la pièce me rend nerveux. Même si je trouve qu'elle est délicieuse, elle est trop forte pour mon nez encore douloureux.

Je ne peux même pas le regarder dans les yeux... argh !

— Q-qui êtes-vous ? chuchoté-je. Qu'est-ce que vous m'avez fait ?

Le loup chouine davantage.

— Demain, annonce l'homme d'une voix autoritaire, tu sortiras d'ici et tu commenceras à t'entraîner.

À cet instant, j'arrive enfin à lever la tête.

— Tu devras prendre part à la vie du village. Un lycan aide sa meute. Et malgré le fait que tu ne sois qu'un humain dans le fond, tu devras t'y plier.

Je plisse le front, un goutte de sueur se faufilant dans ma nuque.

Quoi ?

Même si je voulais parler, j'en serais incapable.

— Tu deviendras un chasseur. De choix ou de force. Dans une semaine, tu te rendras sous le chêne de l'entrée est. Toute l'équipe sera là. Ne sois pas en retard. Tu prendras logis chez Ilan. Il semble t'apprécier malgré la vermine que tu es. En attendant, tu l'aideras en cuisine. En ce qui me concerne, tu aurais mérité de mourir, mais les aînés et ma sœur t'ont laissé une chance. Sache que lorsque je serais PackAlpha, les choses seront bien différentes. Tu n'as donc pas le droit à la mort comme les autres humains. Tu assumeras la douleur jusqu'au dernier instant. Awu, avec moi.

Sur ces mots, il quitte la cabane, le loup le suivant de près, malgré un dernier jappement. Dès lors qu'il a quitté la pièce, je retrouve le contrôle de mes sens et de mes membres. Je me frotte le visage sous la confusion. Je n'ai pas compris un traître mot de ce qu'il a exigé. Mais je n'aime pas beaucoup ça.

J'ai échappé à la mort.

Néanmoins, je ne suis pas sûr que ce soit une bonne nouvelle.

[À paraître en 2025]D'OR ET DE JAIS - Tome 1 & 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant