Chapitre 6 : La chevalerie

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Link ouvrit les yeux, mais ses pupilles n'accueillirent qu'une épaisse obscurité ; d'instinct, il se tourna vers la fenêtre, mais aucun rayon de soleil ne filtrait par l'entrebâillement des rideaux. Tout au plus pouvait-il deviner le faible éclat bleuté de la lune. Il soupira. Plusieurs heures le séparaient probablement de l'aube.

Il enfonça à nouveau sa tête dans les larges oreillers de plumes, mais les ronflements désormais familiers qui résonnaient dans le noir ne l'aidaient guère à retrouver le sommeil. Il regretta la petite chambre qu'il partageait autrefois avec sa mère, dans le quartier des domestiques. Le dortoir des apprentis chevaliers était certes bien plus confortable, mais il ne parvenait pas à s'y sentir chez lui. Sa vieille paillasse posée au sol lui avait offert un sommeil bien plus paisible que le moelleux matelas en duvet sur lequel il passait désormais ses nuits.

Il soupira à nouveau. Il savait que ses insomnies n'étaient pas tant liées à la qualité de son lit qu'aux changements radicaux qu'avait connus sa vie en l'espace de quelques mois. Plus d'un an s'était écoulé depuis qu'il avait retiré la Lame Purificatrice de son socle, événement qui avait marqué la fin de sa petite existence de bâtard invisible et de simple apprenti soldat. Du jour au lendemain, il était devenu l'enfant le plus connu du royaume, et pas un seul hylien n'ignorait son nom. Le roi en personne l'avait présenté au peuple, du haut de la muraille réservée aux allocutions des membres de la famille royale ; il avait dû monter sur un petit escabeau pour que sa tête soit visible par-delà le rempart. Repenser à la foule qu'il pouvait voir en contrebas, et dont le souverain annonçait qu'il serait le sauveur, suffit à tordre son ventre d'angoisse. Pour la première fois, Link avait eu sous les yeux l'enjeu du combat qu'Hylia lui demandait de mener en son nom. Il ne comptait plus ses cauchemars où cette foule se noyait dans une marée de sang.

Link comprit en sentant son estomac noué qu'il ne parviendrait pas à se rendormir. Il avait passé trop de nuits à lutter contre ses anxiétés, les paupières serrées, jusqu'à la levée de l'aube ; il savait désormais que rester allongé ne lui ramènerait pas le sommeil.

Il écarta ses couvertures et descendit la petite échelle de son lit superposé. L'adolescent qui occupait le matelas sous le sien ronflait si fort que Link avait l'impression que toute la structure de bois vibrait. Ses pieds nus rencontrèrent l'épais tapis, et il se faufila sans un bruit entre les couchages du dortoir. Il trouva ses affaires dans l'obscurité, s'en saisit et rejoignit la salle d'eau pour se rincer la tête et éclaircir son esprit.

Le visage ruisselant, il prit quelques instants pour s'inspecter. Le miroir était décidément trop haut pour lui : il ne voyait son reflet qu'à partir du menton. Il approchait de ses douze ans, et il désespérait de ne pas grandir. Tout au plus pouvait-il constater que ses cheveux poussaient déraisonnablement. Il passa une main dans sa tignasse blonde qui atteignait presque ses épaules, démêlant du bout des doigts quelques nœuds tenaces. Je devrais les couper, songea-t-il. Ou au moins les attacher.

Il essuya son visage et s'habilla hâtivement. Il décida d'aller directement à la salle d'entraînement de l'école de chevalerie. Il espérait chasser un peu de l'anxiété qui habitait son ventre en se défoulant à l'épée. Il pourrait ensuite rendre visite à sa mère aux cuisines avant d'aller à l'entraînement matinal. Quittant la chambre, il parcourut le couloir et sortit sur la muraille qui surplombait la cour d'entrainement.

Persuadé d'être seul levé à cette heure avancée de la nuit, il fut très étonné d'y trouver Bathylle qui s'acharnait à l'espadon sur un mannequin démembré. La poupée d'entraînement fabriquée en sacs de toile remplis de paille vomissait son rembourrage par ses coutures explosées. La maîtresse d'armes enchaînait des mouvements complexes de parade et d'offensive. Link resta immobile en haut du rempart pour l'observer, admirant la précision de ses gestes et la puissance de sa frappe. Son arme pesait un poids conséquent et enchaîner ainsi les attaques requérait une force colossale.

Les enfants élus [The Legend of Zelda : Breath of the Wild]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant