« C'est une fille ! Oh, c'est une fille ! ». Ok, une fille, sympa. Je vois une énorme banane se dessiner sur les lèvres du père de la future fille. Il a l'air heureux et apaisé. Les patients attendant dans le couloir le félicitent comme si c'était lui qui portait la vie.
Ça m'agace ! Pourquoi les femmes on compte pour du beurre alors que nous sommes celles qui souffrons le plus dans cette équation. Messieurs regardez-vous, vous avez juste sorti votre liquide et hop, fini. Vous n'avez plus à vous inquiéter pour rien. C'est à la femme de se taper la responsabilité de la vie de quelqu'un qu'elle connaît même pas entre ses mains. Regardez-moi quoi !
Reda me serre la main, comme pour signe d'exprimer que dans quelques instants nous allons vivre ce même bonheur.
Depuis le moment où j'ai su que je portais cette vie en moi et jusqu'à maintenant je me suis projetée aucune fois et je pense que j'ai un sérieux problème. A aucun moment je me suis imaginé avoir une fille ou un garçon. Je ne me suis même pas imaginée accouchée ! Je n'ai aucune appréhension, aucune peur. Comme si j'étais immunisé contre la pensée et la projection.
Je me rends à l'évidence que ce rôle de mère n'est pas fait pour moi. Mais une autre partie de moi essaye de me rassurer et de me dire qu'au vu des évènements, c'est tout à fait normal que je ne ressente aucune émotion en particulier (excepté la colère). Puis deux secondes après, il y a la voix de ma mère qui résonne dans ma tête en me disant « eza kindoki, il faut to kotela yango na prière* ». Je ris toute seule rien de l'imaginer me sortir ses théories de maman congolaise. Qu'est-ce qu'elle me manque...
* c'est de la sorcellerie, on doit prier pour ça.Je me détache de la poigne de Reda avant de sortir mon téléphone de mon sac, comme si on m'envoyait des messages pour de vrai. Je contiens une telle rage en moi depuis un bon bout de temps et ma boule coincée au milieu de la gorge est sur le point d'exploser. Alors ses caresses, il peut se les garder.
– Jaya Irineida Mendes Di-
– C'est bon, c'est moi, je suis là ! je coupe le médecin et me lève de ma chaise.
Avoir un nom de famille portugais quel calvaire ! Si je l'avais laissé continuer on serait là jusqu'à demain. On se lève tous les deux de nos chaises et nous levons en direction de la salle sous les regards sympathiques des femmes et autres parents dans la salle d'attente.
– Alors, vous êtes excités de savoir le sexe du bébé ?
Reda hoche timidement la tête en souriant tandis que moi je reste impassible.
– Bon... continue le médecin en ignorant notre silence. On va commencer par regarder si tout va bien.
Est-ce que tout va bien ?
...
Je n'ai pas le temps de faire un pas de plus que la sonnerie de l'appartement retenti. Je me dirige naturellement vers la porte et l'ouvre sans réfléchir ni regarder qui ça peut être. Et évidemment que désormais se trouvent devant moi les deux protagonistes dont nous étions en train de parler à l'instant : Nils et Hélio. 3 secondes de plus debout et je m'évanouie.
La mère de Reda a finalement raison de la maudire lui et toute sa descendance.
– Hélio : Ma sœur préférée !
Mon petit frère s'approche de moi et me serre fortement dans ses bras. J'étouffe mais je reste marbre.
– Sympa pour Neu ça.
– Hélio : Roh elle-même est au courant, alors on s'en fou.
Enilson me passe à côté sans mot et part s'asseoir à l'autre bout de la pièce. Ce crasseux impoli n'a même pas enlevé ses chaussures ! Un chat reste un chat.